5.9.05

"L'enquête sur l'assassinat de Rafic Hariri place la Syrie devant un dilemme"

GHASSAN SALAMEH, ancien ministre libanais de la culture

LE MONDE | 05.09.05 | 14h10  •  Mis à jour le 05.09.05 | 14h10

Que faut-il penser de la délivrance, samedi 3 septembre, de mandats d'arrêt contre les quatre officiers libanais interpellés dans l'affaire de l'assassinat de l'ancien premier ministre Rafic Hariri ?

L'accusation du juge libanais, sur proposition de la Commission d'enquête internationale, retient les griefs d'assassinat avec préméditation, de détention d'armes et de terrorisme. Dans sa conférence de presse -jeudi 1er septembre - Detlev Mehlis, le chef de la Commission, a dit que les prévenus avaient contribué à la planification de l'attentat ; et dans les papiers explicatifs qu'il a transmis au procureur libanais, il retient ces griefs-là. Dans son rapport du 25 août au Conseil de sécurité de l'ONU et dans les documents expliquant la demande transmise à la justice libanaise, M. Mehlis donne fortement l'impression qu'il sait où il va. Visiblement, il a réussi à en convaincre les procureurs libanais qui ont décidé l'interpellation et l'inculpation.

Quelles peuvent être les suites ?

Il faut s'attendre à d'autres arrestations, les quatre généraux ayant bénéficié de l'assistance de personnes de rang subalterne, aussi bien dans l'administration que de la part de personnes et de formations qui gravitaient dans l'orbite de ce que l'on appelle l'"Etat sécuritaire" libanais. Par ailleurs, le message adressé à la Syrie est fort : M. Mehlis donne l'impression qu'il a déjà reconstitué de manière assez précise les motifs, la planification et l'exécution de l'attentat et que c'est en conséquence qu'il exige de rencontrer des officiels syriens. Enfin, lorsque le rapport définitif de la Commission sera prêt, l'affaire devra venir devant un tribunal, dont la nature est en discussion, parce que M. Mehlis a laissé entendre que des dizaines de témoins souhaitent que la teneur de leur déposition ne soit pas transmise aux autorités libanaises.
Une première hypothèse consisterait à faire confiance à la justice libanaise, en lui donnant une chance de prouver qu'elle est indépendante. Une autre est la constitution d'un tribunal mixte, où la justice libanaise bénéficierait d'un soutien international. Certains évoquent l'idée d'un tribunal libanais qui siégerait, selon la loi libanaise, à l'extérieur du territoire libanais. D'autres, un tribunal international ad hoc, mais cela nécessiterait une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU.

Quelles sont les conséquences politiques de cette affaire ?

L'Etat sécuritaire qui, notamment depuis l'accession à la présidence de la République d'Emile Lahoud, en 1998, avait la préférence de la Syrie et s'ingérait dans toutes les affaires civiles, est aujourd'hui touché au coeur. Et l'excuse, facile, de la dualité du pouvoir, derrière laquelle s'abritait l'Etat civil pour justifier son incapacité à se réformer, est tombée.
Dans la mesure où il est le symbole de l'Etat sécuritaire, M. Lahoud se trouve dans une situation délicate, et plusieurs hommes politiques libanais réclament sa démission. Je pense qu'il ne faut pas mélanger le processus judiciaire avec le processus politique, même s'il faudra tôt ou tard tirer les conséquences politiques évidentes de cette affaire. Le suivi assuré par le Conseil de sécurité de l'ONU, depuis l'attentat contre Rafic Hariri en février, indique l'intérêt de la communauté internationale pour le processus judiciaire. Il ne faut donc pas le mêler aux stratégies politiques des uns et des autres.
La Syrie, pour sa part, est placée devant un dilemme. Coopérer avec la commission d'enquête internationale, c'est prendre le risque que tel ou tel officier ou officiel syrien conforte les raisons de la Commission de regarder du côté de la Syrie. C'est aussi risquer de dévoiler la manière dont les décisions sont prises dans ce pays, le rôle des services de sécurité dans la gestion tant de la Syrie que du Liban. Ne pas coopérer, c'est risquer d'être accusé ou inculpé sans avoir donné sa version des faits. C'est aussi risquer des sanctions de la communauté internationale.
Autrement dit, il y a une facture à payer dans les deux cas. Médiatiquement, la Syrie dit qu'elle veut coopérer. Jusqu'à présent, M. Mehlis juge sa coopération insuffisante. Un rendez-vous a été accordé à la commission à Damas le 10 septembre. Il est entendu qu'il ne s'agit pas pour M. Mehlis d'aller prendre un café, mais de procéder à des interrogatoires en règle, tout en brandissant l'épée de Damoclès qui consiste à dire : "Je connais l'histoire même si vous ne voulez pas me parler."

Propos recueillis par Mouna Naïm
Article paru dans l'édition du 06.09.05

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