3.9.05

Comprendre le rôle de l'UE dans le dossier iranien

EUROPE

PAR GUILLAUME KLOSSA *
[Le Figaro, 03 septembre 2005]


C'est aujourd'hui que le directeur général de l'Agence internationale de l'Énergie atomique (AIEA), émanation de l'ONU qui veille au respect des traités internationaux en matière de non-prolifération nucléaire remet son rapport sur le dossier iranien. Au coeur de ce texte, l'Iran, soupçonné de chercher à développer des capacités nucléaires utilisables à des fins militaires. En reprenant début août les activités de conversion de l'uranium, l'Iran est revenu sur les engagements qu'il avait pris avec les Européens en novembre 2004 à Paris. Cette décision a remis à l'ordre du jour la question du transfert du dossier iranien au Conseil de sécurité des Nations unies. Dans une telle hypothèse, la porte serait ouverte à l'adoption de sanctions, voire à une autorisation de recours à la force contre l'Iran sous condition d'un accord unanime entre les membres permanents du Conseil de sécurité.
La question nucléaire iranienne dépasse largement la seule problématique des relations entre l'Iran, voire l'Islam, et l'Occident. L'enjeu est tout autre. Il s'agit de l'avenir du régime de non-prolifération institué durant la guerre froide qui a globalement permis d'éviter la multiplication des pays détenteurs de l'arme atomique. Or, aujourd'hui, il n'est plus très difficile pour des pays disposant d'ingénieurs bien formés et pouvant mener librement les expérimentations nécessaires de développer une telle arme. Si l'Iran devait l'acquérir, nul doute que beaucoup d'autres suivraient son exemple. Avec deux conséquences. D'abord, une rupture de l'équilibre des puissances issu de la guerre froide. Ensuite, un risque accru d'utilisation de l'arme nucléaire.
Pour les Iraniens, l'enjeu est ailleurs. Il s'agit d'abord de faire face à une préoccupation ancienne de sécurité en partie liée au voisinage de la puissance israélienne dotée de l'arme nucléaire. Perception d'insécurité accrue par la proximité des forces américaines en Irak et d'un Pakistan proche allié américain également doté de la force atomique. Par ailleurs, l'Iran ambitionne de longue date le statut de puissance régionale. La faiblesse syrienne, le chaos irakien, l'affaiblissement de la dynastie des Saoud en Arabie saoudite favorisent cette ambition. A ceci, s'ajoute une incompréhension iranienne nourrissant un patriotisme à fleur de peau : pourquoi la communauté internationale accepte-t-elle qu'Israël, le Pakistan, l'Inde, non signataires du TNP, disposent-ils de l'arme nucléaire et pas l'Iran ?
Officiellement, les Iraniens n'ont jamais affiché de telles ambitions. Ils se contentent de revendiquer leur droit à développer un programme nucléaire civil. Pourtant, les États-Unis comme l'Europe doutent de la sincérité perse.
Très tôt conscients d'une menace pesant sur la sécurité de l'Europe, l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni ont mené à partir de l'été 2003 une initiative diplomatique visant à amener l'Iran à renoncer à développer les activités du cycle du combustible utilisables à des fins militaires.
Pourtant, aujourd'hui, la contribution européenne à la résolution de la crise est considérée comme un échec. C'est sans doute trop vite passer sur les réels succès obtenus depuis le lancement de la négociation.
D'abord la suspension au moins temporaire – des activités liées à l'enrichissement qui a permis de geler l'avancée du programme nucléaire iranien à un moment critique pour la stabilité du Moyen-Orient en raison de la remontée des tensions israélo-palestiennes et des difficultés des Américains rencontrées sur le champ irakien. Cette suspension était de surcroît supervisée sur le terrain par l'AIEA. Le temps gagné a facilité l'obtention d'un accord israélo-palestinien aboutissant à l'évacuation de Gaza ainsi que l'aboutissement du processus constitutionnel en Irak, condition d'un retour à la pleine souveraineté des Irakiens. Ce n'est pas rien.
Deuxième succès : la mobilisation de la communauté internationale derrière l'initiative européenne. Ainsi toutes les décisions du conseil de gouverneurs de l'AIEA l'ont été à l'unanimité, Russie et États-Unis compris. Cette unanimité n'allait pas de soi compte tenu de la réticence initiale de Washington. En effet, le président Bush souhaitait poser de suite le dossier iranien sur la table du Conseil de sécurité des Nations unies et ouvrir la voie à l'utilisation de la force. Contre toute attente, Washington s'est rallié à la position européenne et a apporté un soutien inespéré et quasi sans réserve à la démarche européenne.
Quels enseignements en tirer ? Quand les Européens se mettent d'accord, qu'ils font preuve d'imagination et bénéficient d'une véritable expertise, ils peuvent fixer la ligne sur un enjeu majeur de politique internationale, à condition toutefois d'éviter les antagonismes avec Washington.
Aujourd'hui, pourtant, l'Europe n'a fait que la moitié du chemin. La démarche européenne n'a pas suffi à convaincre l'Iran de respecter ses engagements. Il est vrai que l'échec du projet de Constitution européenne qui affirmait la volonté de l'Union en matière de politique étrangère, a miné la crédibilité européenne tandis que l'élection d'Ahmadinejad à la présidence iranienne, complique la donne. Reste un problème ontologique. L'Union européenne dispose de tous les moyens d'expertise technique, diplomatique – voire militaire – pour gérer cette crise de bout en bout et apparaître comme un acteur géopolitique majeur. Pourtant jusqu'à présent, en renonçant a priori à l'usage de la force, elle ne peut qu'être perçue comme une puissance faible et finalement cantonnée à des missions de bons offices. Si jamais l'AIEA décide de renvoyer le dossier au Conseil de sécurité des Nations unies, les Européens devront savoir s'ils sont prêts à durcir le ton, sans exclure l'option militaire de laquelle dépend notre crédibilité internationale. La réponse apportée traduira la réalité de l'ambition européenne : se doter des attributs de la puissance pour l'exercer autrement.

Président de l'organisation non gouvernementale EuropaNova. (www.europanova.net.)

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