Les produits transitent par la Jordanie, où toute inscription en hébreu est effacée, mais les échanges sont freinés par l’insécurité
Une vingtaine d’entreprises israéliennes ont réussi à décrocher un contrat, en direct ou en sous-traitance.
De notre envoyé spécial à Tel-Aviv et Amman : Georges Malbrunot
[Le Figaro, 28 septembre 2005]
Quand on a vendu des portes blindées à Yasser Arafat, aux Syriens ou à la mafia russe, le marché irakien ressemblerait presque à une sinécure. «Je suis comme un chasseur, je traque les affaires là où elles sont», affirme Avinoam S. Son entreprise israélienne a remporté plusieurs appels d’offres à Bagdad pour la fourniture de milliers de portes de sécurité pour des camps militaires américains et des administrations irakiennes. Ce pionnier des marchés périlleux a deux règles d’or : la discrétion d’abord, et un réseau d’intermédiaires ensuite, capables d’accéder aux décideurs.
Chaque semaine, l’ancien membre des commandos d’élite Golani pilote son avion jusqu’à Amman, pour y rencontrer un ancien ministre de Saddam Hussein, qui avait fui quelques années avant la chute de la dictature, et un Jordanien proche du roi Abdallah. Le premier s’occupera de soumissionner aux appels d’offres à Bagdad, le second de régler d’éventuels écueils pendant le transit des marchandises en Jordanie. «Chacun des intermédiaires reçoit sa commission», explique Avinoam.
Par camions conduits par un Arabe israélien, les portes sont acheminées en Jordanie. Direction, la zone de libre-échange de Zarqa, au nord d’Amman. C’est là que s’opère «le nettoyage des documents» par un transitaire jordanien. Toute trace en hébreu doit disparaître pour ne pas éveiller les soupçons des douaniers irakiens à la frontière. A Zarqa, dans un immense fatras, sont entreposés des centaines de voitures, des camions, des bétonnières, des grues, en provenance d’Europe et d’Israël. Assis sous un vieux container, Abou Alaa, un Jordanien, négocie avec un client irakien la vente de deux bétonnières, fraîchement arrivées de l’Etat hébreu.
«Ce n’est pas un péché de traiter avec Israël, ce ne sont que des machines», proteste Khaled, de Ramadi, un fief de la guérilla sunnite, au nord de Bagdad. «C’est vrai que, si Zarqaoui ou la résistance le savait, je serais mort», ajoute-t-il, en faisant le signe de l’égorgement. Pour contourner l’interdit sur l’entrée en Irak de matériels antérieurs à la guerre du Golfe de 1991, Khaled devra démonter les bétonnières, avant de les assembler, une fois la frontière franchie. Tout le monde y trouve son compte : l’Israélien qui écoule de vieux produits, le Jordanien qui les revend moins cher que les équipements concurrents européens, et l’Irakien, qui empoche une confortable marge.
Mais les surcoûts liés à l’insécurité freinent l’essor des affaires entre Israël et l’Irak. Le commerce a été autorisé par Benyamin Netanyahu, alors ministre des Finances d’Ariel Sharon, en juillet 2003. Le volume d’échanges est encore modeste : 30 millions de dollars l’an dernier, selon la Chambre de commerce israélo-jordanienne, soit dix fois moins qu’avec l’Egypte, par exemple. Autobus usagés, gilets de protection, canettes de bière, équipements de purification de l’eau et téléphones électroniques sont les principaux biens israéliens vendus en Irak.
Beaucoup d’entreprises tentent leur chance. Seulement une vingtaine jusqu’à présent a réussi à décrocher un contrat, souvent avec l’armée américaine, en direct ou en sous-traitance, explique Asa Yarkoni, qui a lui-même fourni les Américains en systèmes électroniques. «Washington n’encourage pas vraiment ce commerce», reconnaît-il. La preuve : à la suite de pressions politiques, la société Sonol a dû battre en retraite, après avoir livré de l’essence à l’US Army, via la Jordanie. Sonol pouvait pourtant compter sur Amnon Lipkin-Shahak, ancien chef d’état-major de Tsahal et membre de son conseil d’administration. Cet homme de l’ombre est associé à l’avocat Gilad Sher, ancien conseiller du premier ministre Ehoud Barak pour les négociations avec les Palestiniens. Sher utilise lui aussi son carnet d’adresses dans les milieux politico-militaires pour décrocher des contrats en Irak. «Nous servons d’intermédiaires pour une quinzaine de sociétés israéliennes, explique-t-il depuis son bureau dans une tour qui domine Tel-Aviv. Je ne peux pas vous dire combien d’affaires nous avons décrochées.»
Insécurité oblige, Shmoulik Dorshtein a dû changer son fusil d’épaule, malgré des débuts prometteurs. Karmiel, sa société, avait participé en 2003 à la construction de postes frontières, avant de fournir 61 000 portes dans le cadre d’un projet de construction de 12 000 appartements pour la garde civile iraquienne. Il concentre désormais ses activités chez les Kurdes, via le territoire turc. «Le potentiel est important, et la sécurité y est meilleure», dit-il.
Dans le petit monde des hommes d’affaires israéliens intéressés par l’Irak, l’avocat Marc Zell fait figure d’exception. Ce juif religieux, habitant une colonie près d’Hébron en Cisjordanie, n’a pas hésité à passer un an à Bagdad. Juste après la guerre, il y ouvrit un cabinet d’avocats avec Salem Chalabi, le neveu d’Ahmed Chalabi, l’un des principaux responsables irakiens. «Les Irakiens s’en fichaient que je sois israélien», dit-il. Mais l’assassinat de Nicholas Berg, juif américain comme lui, en avril 2004, l’a convaincu de renoncer aux sirènes des affaires juteuses sur les bords du Tigre. Quelques mois auparavant, Salem Chalabi avait vendu la mèche sur la nationalité de son partenaire. Marc Zell était alors devenu la tête de turc de la presse arabe, qui voyait en lui l’incarnation de «l’alliance américano-sioniste pour piller l’Irak».
28.9.05
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