26.9.05

Et voilà l’automne des peuples !

L’idéal démocratique de la Maison-Blanche a depuis un bout de temps du plomb dans l’aile. Les élections irakiennes n’ont pas permis de retour à la normale, pas plus que le débat constitutionnel. En Egypte, la parodie de suspens n’a pas permis de parler de victoire de la démocratie dans ce Grand Moyen-Orient imaginé par George W. Bush, selon les critères démocratiques en vogue sur les rives du Potomac. Mais voilà que l’édifice démocratique initié par USAid, l’agence humanitaire du State Department, après avoir été pendant de longues années celle du National Security Council, en Asie centrale est en train de s’effriter.
En effet, le gris moscovite semble redevenir la règle dans la région après les révolutions démocratiques « arc-en-ciel » de Tbilissi, de Kiev et de Bichkek. Comme aux lendemains des événements de l’automne 1989, la normalité semble reprendre le pas sur le « velours » du changement. Un an après que le Géorgien Chevardnadze, l'Ukrainien Koutchma et le Kirghize Akaïev eussent été déboulonnés par des mouvements populaires, laissant croire à une véritable « vague démocratique », l’idée de tout changement est redevenu utopique dans les anciennes républiques d’Union soviétique. Le glacis russe semble même se réorganiser à l’initiative de Vladimir Poutine.
L’heure de la répression a sonné lorsque le régime ouzbek avait violemment réprimé la révolte d’Andijan, le 12 mai dernier. « L'ampleur du massacre a été colossale », dénonce Rachel Denver, responsable Europe et Asie centrale de l'organisation de droits de l'homme Human Rights Watch (HRW), qui vient de rendre public son deuxième rapport sur la tragédie. « Il s'agit d'un épisode dont l'ampleur rappelle la répression de la place Tiananmen » (Le Figaro du 25 septembre 2005). L'effervescence démocratique dans l'ex-bloc soviétique explique sans doute la brutalité de la réaction du pouvoir ouzbek, qui a vu avec inquiétude éclore les révoltes populaires sur ses frontières, notamment pendant le turbulent printemps kirghize. Il s’agissait d’en finir avec l’hémorragie. Pour renforcer ses positions régionales, Karimov avait alors entamé un rapprochement immédiat avec la Russie et la Chine, qui multiplient les attaques contre les « fausses révolutions suscitées d'Occident ». En juillet, son Sénat avait décidé d'expulser les militaires américains de leur base. Pour Tachkent, qui depuis des années s'efforçait de s'affranchir de la tutelle russe avec l'aide de l'oncle d'Amérique, il s’agissait d’un virage radical.
Embarrassés et pétrifiés par l'inacceptable comportement de leur allié ouzbek, les Américains sont contraints de louvoyer entre leurs intérêts stratégiques et la nécessaire condamnation de la répression. D’autant que leur position en Irak les empêche de céder ou de faire pression… Alors que le State Department veut soutenir la démarche européenne de mise en place d’« une enquête internationale sur le massacre », le Pentagone plaide pour l’attentisme. La position américaine s'en retrouve ainsi brouillée, montrant, comme le prouvent les événements d'Andijan, que la « défense de la démocratie » est aléatoire, sinon sélective.
Depuis ce camouflet, Washington a mis en sommeil le passage à l’acte des projets d’USAid. Les législatives du 7 novembre à Bakou et la présidentielle kazakhe en décembre ne devraient pas être l’occasion de nouvelles révolution. D’ailleurs, les mouvements d’opposition qu’ils fédèrent ne valent pas mieux que le Conseil National Irakien au moment de l’intervention américaine en Irak. Par ailleurs, dans cette région du Caucase, la présence russe est toute autre que celle de l’Iran en Mésopotamie. A cela s’ajoutent, dans une forte tension des prix des hydrocarbures, des intérêts pétroliers de l'Occident en Azerbaïdjan et au Kazakhstan qui ne se sont jamais trop embarrassés de démocratie, et encore moins de démocratisation.
Voilà qui éclaire d’un jour nouveau les difficultés des « nouveaux démocrates » de ce printemps. A Tbilissi, le président Saakachvili peine à serrer les rangs de son équipe, depuis la mort de son Premier ministre Zourab Jvania. La situation kirghize, confuse depuis le début du « printemps des tulipes », se délite. Les nouvelles les plus préoccupantes viennent toutefois de Kiev où, moins d'un an après la révolution de novembre 2004, la « coalition orange » se déchire entre partisans d'un Viktor Iouchtchenko affaibli et amis de Ioulia Timochenko, son ex-Premier ministre. Derrière chacune des situations, encore et toujours la main invisible de Moscou

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