13.9.05

Fiction ?

Encore une fois, la lecture médiatique du dernier épisode du « Jag », diffusé sur France 2 dimanche après-midi, en dit plus sur la situation de l’armée américaine quant à l’Irak que tous les commentaires sur Katrina et tous les discours de George W. Bush. Traduit en français « Mercenaires », cet épisode s’intitule « Corporate Raiders ». Il a été diffusé aux Etats-Unis le 10 janvier 2004. En quoi est-il symptomatique ? Il dénonce l’activité des sociétés militaires privées, ou private military companies, envoyées sous contrat de service en Afghanistan et en Irak pour remplir les missions externalisées par les armées. Comme expliqué dans l’épisode, il s’agissait au préalable de logistique. Mais la guérilla irakienne a fait évoluer leur mission. Or, justement, l’année 2003 marque le début de cette évolution. Ces entreprises privées remplissent dorénavant des missions plus traditionnellement « militaire » : entraînement des armées et des forces de sécurité irakienne, protection de l'administration civile, et même collecte du renseignement et interrogatoire de milliers de prisonniers. En 2004, ils étaient quelque vingt mille contractants. Il s'agit de la deuxième force militaire d'occupation en Irak, après les troupes américaines.
L’épisode montre les limites de cette évolution. Il liste les problèmes de relève sur le terrain, pour des raisons de gestion des personnels en fonction du chiffre d’affaires. Car si le recours à des compagnies de mercenaires permet à l’Administration Bush aussi bien de contourner le cadre budgétaire imposé par le Congrès que de limiter l'impact des morts de soldats sur l'opinion publique, leur sort n’est guère enviable. Les scénaristes entendent bien montrer les risques que représentent ces activités. Le sergent-major Tom Elgart, réintégré dans les Marines pour pouvoir être jugé pour avoir mis en péril une unité de ce Corps dans le cadre de ses fonctions privées en Irak, rappelle que les prises d’otages et les assassinats de ces « soldats privés » se multiplient. Comme par prescience, démontrant si besoin était que la série bénéficient du soutien du Department of Defence, il parle des lynchés de Falujah, épisode bien réel qui se produisit le 31 mars 2004 et conduisit l’armée américaine a déclenché une vaste opération qui occasionna plus de mille morts chez les civils de la cité.
Mais le propos de l’épisode n’est pas là. Ce n’est pas tant le sort de ces sociétés militaires privées qui est en cause, mais le risque qu’elles peuvent faire courir aux militaires. Les graves dérives de cette façade commerciale et libérale, singulièrement représentées par un ancien officier de marine intègre, le commandant James Merrick, sont mises en accusation devant le tribunal du « Jag ». Image du corporatisme militaire américain, le « Jag » se fait l’écho de l’inquiétude d’un nombre croissant d’officiers américains devant l’absence de toute forme d’unité de commandement et de contrôle, tout comme l’inexistence de procédures standardisées de recrutement des personnels des sociétés militaires privées. Dès l’été 1999, l’ancien lieutenant-colonel Thomas K. Adams s’en faisait l’écho dans « The new mercenaries and the privatization of conflict », publié dans la revue de l’US Army War College de Carlisle, Parameters, pp. 103-116 (http://carlisle-www.army.mil/usawc/Parameters/99summer/adams.htm). L’année suivante, la très officielle National Defense University de Washington reconnaissait dans son Strategic Assessment 1999 que « La privatisation est peut-être moins coûteuse qu’une intervention militaire, mais la qualité du résultat et le respect des droits humains peuvent être compromis (http://www.ndu.edu/inss/Strategic%20Assessments/sa99/15.pdf, p. 240). » C’était également avant que Kenneth Roth, directeur exécutif de Human Rights Watch, exprime ses réserves, devant la presse le 30 avril 2004 : « Si le Pentagone envisage d’utiliser des contractants privés pour des missions militaires ou de renseignement, il doit s’assurer qu’ils sont sujets à des restrictions et des contrôles légaux, [car permettre à ces opérateurs] d’agir dans un vide juridique est une invitation aux abus ».
Dès août 1998, le septième numéro du magazine « Séries Mania » avait vu juste : « Si JAG pouvait laisser présager une œuvre reaganienne ou encore un spot publicitaire de la Navy, il n'en est rien. » Les suites des attentats du 11 septembre ont peut-être laissé croire à un embrigadement de la série dans la guerre contre le terrorisme. Ce fut le cas avec le traitement des questions afghanes, où le lieutenant Bud Roberts y a même laissé une jambe. Avec l’Irak, la série a retrouvé un ton moins politiquement correct. Lorsque l’on sait que les scénarios sont retouchés par le Film Liaison Office de Los Angeles des Marines et de la Navy, on peut en déduire le sentiment de l’armée à propos d’un conflit qui devient difficile à justifier aux Etats-Unis, comme le montre les débats autour de l’organisation des secours suite à l’ouragan Katrina…

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