13.9.05

ONU : le sommet de l'impossible réforme s'ouvre mercredi à New York

LE MONDE | 13.09.05 | 13h37  •  Mis à jour le 13.09.05 | 13h37
NEW YORK (Nations unies) de notre correspondante

Comme le dit Marc Malloch Brown, le chef de cabinet de Kofi Annan, "on ne peut pas forcer les gens à se tendre la main" . A vingt-quatre heures de l'ouverture du sommet mondial qui doit se tenir au siège des Nations unies, du mercredi 14 au vendredi 16 septembre, en présence de plus de 170 chefs d'Etat et de gouvernement, les ambassadeurs négociaient encore à New York, mais il était clair que le résultat serait loin des objectifs fixés par le secrétaire général. "La grande réforme n'aura pas lieu, commentait un ambassadeur africain. La vision politique n'est pas là."
Après la fracture irakienne de mars 2003, le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, avait proposé aux 191 Etats membres de se pencher sur une rénovation du système de sécurité collective, hérité de la seconde guerre mondiale. Il espérait prendre en compte les préoccupations de tous — menace des armes de destruction massive, terrorisme, pauvreté —  afin que chacun trouve son intérêt à la réforme, dans une sorte de pacte Nord-Sud de sécurité économique et politique.
Des centaines de réunions et de séminaires se sont tenus à travers la planète, à l'initiative de cercles de réflexion ou d'organisations non gouvernementales (ONG). Un panel de personnalités internationales a travaillé presque un an avant de faire 101 propositions. Kofi Annan en a extrait un projet global, qu'il a soumis à l'Assemblée générale. Depuis plus de six mois, celle-ci s'efforce d'aboutir à un consensus, la règle d'or dans cette instance, en prévision de ce sommet de la réforme, qui correspond aussi au 60e anniversaire de l'ONU.
Le résultat s'annonce maigre. Il n'y aura pas d'élargissement du Conseil de sécurité dans l'immédiat. Pas d'accord sur une définition du terrorisme (seulement la classique condamnation). Pas d'engagement ferme sur l'objectif de 0,7 % du PNB à consacrer à l'aide publique au développement (mais le chiffre figure dans un hommage aux pays qui se sont fixé ce seuil). Pas de création immédiate d'un Conseil des droits de l'homme ou de Commission de consolidation du maintien de la paix (mais une "détermination" à les "établir" le jour où un accord aura été trouvé sur leur composition)...
L'esprit n'a pas soufflé. Chacun s'est dévoué, semble-t-il, pour bloquer quelque chose. La Chine n'aimait pas l'idée d'une sélection rigoureuse pour être élu au Conseil des droits de l'homme. Le Brésil, l'Inde, l'Algérie, la Chine n'aimaient pas le sous-entendu d'ingérence derrière le concept de "responsabilité de protéger" . Les Etats-Unis n'aimaient pas l'expression " objectifs du millénaire" mais ils ont fini par l'accepter, et même dans une ultime concession, lundi, par appeler à "assurer" leur "réalisation", et dans "les délais prévus" lors des précédents sommets.

DÉCEPTION DES AFRICAINS

La communauté internationale n'a jamais paru aussi repliée sur les intérêts nationaux. L'Italie n'a jamais accepté la candidature de l'Allemagne au Conseil de sécurité ; pas plus que l'Algérie celle de l'Egypte, le Cameroun celle du Nigeria... La division s'est opérée entre les modérés (France, Royaume-Uni, une partie de l'Afrique et de l'Amérique latine) et les radicaux (Algérie, Egypte, Iran, Syrie, Venezuela, Cuba), entre ceux qui "aiment" l'ONU ou en ont besoin, comme dit un diplomate, et ceux qui "ne veulent rien changer" , comme la Russie, ou qui "ne profitent pas tellement du système" , comme le Pakistan. Les Etats-Unis se sont placés ostensiblement hors catégorie, dès que l'ambassadeur John Bolton est arrivé début août et qu'il a voulu reprendre ligne à ligne ce que le ministre gabonais Jean Ping avait passé de longs mois à élaborer.
Les modérés ont tenté d'introduire des brèches dans le système onusien qui octroie aux petits pays la même voix que les grands ("un système baroque d'affirmative action" , selon la description du néoconservateur Joshua Muravchik dans le Wall Street Journa l de lundi). Ils se sont heurtés à une rébellion des "radicaux". L'un des points les plus disputés dans la dernière phase aura été la possibilité donnée à Kofi Annan de recruter des cadres en fonction de leurs compétences et non de leur pays d'origine. Nombre de pays en développement y ont vu une tentative de les déposséder d'une partie de leur titre de propriété sur l'organisation.
Le sommet ne devait être qu'une étape, cinq ans après le sommet du millénaire et l'engagement de la communauté internationale à éliminer de moitié l'extrême pauvreté avant 2015. Après les attentats de 2001 et la guerre en Irak, " la réforme s'est greffée sur le développement, regrette l'ambassadeur du Maroc, Mohamed Bennouna. Mais sur les questions politiques et les mesures de changement, il n'y a pas d'accord. C'est trop tôt. Les Africains sont les premiers à pouvoir être déçus" . Certains diplomates estiment que l'organisation est en crise. "Une crise qui couve depuis l'Irak, dit un ambassadeur du Groupe des non-alignés. Il faut une refonte de l'ONU. Et il est clair maintenant qu'elle ne peut pas se faire de l'intérieur mais de l'extérieur."
D'autres mettent en cause le contexte politique, le calendrier.
L'Union européenne est désunie, les Etats-Unis en difficulté en Irak, Kofi Annan, affaibli par le scandale "Pétrole contre nourriture"... "Ce qui manque, c'est le souffle" , commente un ambassadeur. L'ONU est-elle le reflet d'une montée des nationalismes ? "Un certain nombre de pays ne sont pas prêts au compromis. On sent moins d'appétence pour le multilatéralisme" , relève l'ambassadeur français Jean-Marc de La Sablière.

Corine Lesnes
Article paru dans l'édition du 14.09.05

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