3.10.05

L'armée américaine éprouve les pires difficultés à recruter

LE MONDE | 03.10.05 | 14h25  •  Mis à jour le 03.10.05 | 14h25
NEW YORK de notre correspondant

La campagne de recrutement de l'armée américaine pour l'année 2005 s'est terminée, fin septembre, avec les plus mauvais résultats enregistrés depuis un quart de siècle. Selon des chiffres non encore officiels, elle aurait réussi à engager 73 000 soldats en douze mois, un nombre bien inférieur à l'objectif affiché de 80 000. Il faut remonter à 1979 pour trouver un déficit plus important.
En fait, la situation est encore plus difficile que ne l'indiquent les statistiques. En 2004, près de la moitié des nouvelles recrues qui avaient signé l'année précédente ont attendu plusieurs mois avant d'être incorporées. Ce processus existe depuis longtemps et permet au Pentagone de mieux gérer le renouvellement de ses effectifs. Mais il ne fonctionne plus. Les recrues de l'année précédente ne représentent plus que 18 % du total cette année et seront 11 % pour la campagne de 2006, qui a commencé le 1er octobre et se terminera le 30 septembre. "Cela signifie que satisfaire les besoins va être un véritable défi" , reconnaît le lieutenant colonel Bryan Hilferty, porte-parole de l'armée. Et la situation est jugée encore plus alarmante pour les réservistes, même si aucun chiffre n'a été communiqué. Ces "soldats du dimanche" - - appartenant à la Garde nationale, qui dépend des Etats, et à la Réserve, directement rattachée au Pentagone - - représentent 45 % des effectifs de l'armée américaine.
Le département de la défense multiplie depuis des mois les campagnes de publicité. Il a engagé des centaines de recruteurs et offre jusqu'à 20 000 dollars de primes aux engagés. Il a même demandé l'autorisation au Congrès de porter à 42 ans la limite d'âge pour les volontaires, qui est de 35 ans pour les unités d'active et de 39 ans pour la Réserve et la Garde nationale. Mais cela a peu d'effets. D'abord parce que les Etats-Unis se trouvent dans une situation de quasi-plein-emploi, avec un taux de chômage inférieur à 5 %, et surtout car l'impopularité de la guerre en Irak ne cesse de grandir. Plus de 1 900 soldats américains ont été tués dans ce pays en deux ans et demi.
Ce "conflit de faible intensité", selon la terminologie du Pentagone, épuise une armée inadaptée à un combat long et incertain contre une guérilla. Depuis 2001, elle a déployé plus d'un million d'hommes en Afghanistan et en Irak, parmi lesquels des centaines de milliers ont servi à plusieurs reprises. En mobilisant les réservistes, en contraignant les soldats de la Garde nationale à rester plus longtemps sous les drapeaux, le Pentagone a réussi à faire passer les effectifs théoriques de l'armée de terre de 480 000 à 640 000 hommes. Mais il décourage ainsi encore un peu plus les éventuelles recrues ou ceux qui auraient pu prolonger leur engagement.
La conscription a été abandonnée en 1973, à la fin de la guerre du Vietnam. A côté d'une armée de métier, le général Creighton Abrams avait conçu un système qui permettait de conserver une force représentative des citoyens, mais sur une base volontaire. Pendant les vingt-cinq années qui ont suivi, ces unités de la Garde et de la Réserve ont rassuré les responsables militaires sur leur capacité à mobiliser des troupes en nombre en cas de conflit majeur et ont surtout servi aux Etats pour faire face aux catastrophes naturelles. Mais le système n'est pas conçu pour maintenir au loin, longtemps et dans des conditions de combat difficiles, des unités inexpérimentées.
Le Congrès a donc accepté d'augmenter de 50 000 hommes la taille de l'armée de terre et de recréer des divisions supprimées à la fin de la guerre froide. Mais cela prend du temps, coûte cher et devient impossible sans nouveaux soldats. "Les difficultés de recrutement montrent combien il sera difficile d'accroître les effectifs de l'armée, ce que les experts estiment pourtant absolument nécessaire" , explique Michael O'Hanlon, de la Brookings Institution.
Si l'armée américaine veut conserver des capacités suffisantes pour mener deux conflits importants simultanément, comme elle en a la mission, et si elle est incapable de recruter, elle pourrait être contrainte de revenir à la conscription. Le représentant (député) démocrate Charles Rangel, ancien de la guerre de Corée, et le sénateur démocrate Ernest Hollings, vétéran de la seconde guerre mondiale, ont déposé en 2004 un projet de loi en ce sens. Il a été massivement rejeté.
Une telle réforme est économiquement et plus encore politiquement inacceptable. Selon un sondage réalisé en 2004 pour le New York Times et CBS, plus de 70 % des Américains, démocrates comme républicains, y sont totalement opposés.

Eric Leser
Article paru dans l'édition du 04.10.05

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