20.10.05

Les zones d'ombre du procès

Seul le massacre de 143 habitants de Doujail en 1982 est jugé. L'examen ultérieur et incertain de la répression contre les Kurdes et les chiites arrange beaucoup de monde.

Adrien Jeaulmes
[Le Figaro, 20 octobre 2005]

LE PROCÈS de Saddam Hussein s'ouvre sur l'un des épisodes les plus obscurs des crimes attribués à l'ex-dictateur irakien. Pour le début de son jugement, l'ancien raïs et ses sept coaccusés doivent répondre du massacre de 143 personnes à Doujail en juillet 1982. Un commando du parti islamiste chiite Dawa avait tendu une embuscade au cortège présidentiel dans cette ville à majorité chiite, à une quarantaine de kilomètres au nord de Bagdad. L'attentat avait été suivi de représailles sanglantes par les services secrets irakiens, qui avaient torturé et assassiné 143 personnes, et emprisonné et déporté quelque 1 500 autres habitants.
Le mouvement Dawa, le plus ancien parti islamique chiite, auquel appartient l'actuel premier ministre irakien Ibrahim al-Jaafari, était engagé à l'époque dans une campagne d'attentats destinés à mettre fin à la guerre avec l'Iran, soutien traditionnel des opposants chiites à Saddam. De hauts responsables du Dawa, dont son fondateur, l'ayatollah Mohammed Baqr al-Sadr, père de Moqtada al-Sadr, avaient été assassinés par le régime de Saddam Hussein. Or, le clergé chiite mis à part, l'opinion irakienne reste dans son ensemble hostile aux Iraniens, auxquels le nouveau gouvernement est jugé inféodé.Règlement de compte
«Je veux bien que l'on juge Saddam pour avoir massacré les Kurdes pendant l'opération Anfal, ou pour l'emploi des gaz à Halabja», dit Abou Ofa, un ancien ingénieur agronome, sunnite irakien de Bagdad peu suspect de complaisance envers le régime de Saddam. «Mais cette affaire de Doujail est un règlement de comptes politique du Dawa. Comme dans tous les pays arabes, un groupe terroriste qui tente de tuer le président doit s'attendre à subir des représailles. C'est partout pareil, et personne ne parle de crime contre l'humanité», dit-il. Mais le cas de Doujail offre aussi d'autres avantages. Les ordres signés de Saddam Hussein et de ses collaborateurs auraient été retrouvés par les enquêteurs américains. L'unité de temps et de lieu fait aussi de cet épisode sanglant l'un des plus faciles à juger. Plus facile en tout cas que le massacre des chiites du Sud irakien au lendemain de la guerre du Golfe en 1991, dont le contexte politique risque de soulever des questions délicates pour les Américains et les partis d'opposition chiites. L'insurrection avait alors été accompagnée du massacre de soldats et de représentants du parti Baas, suscitant une réaction brutale de la garde présidentielle, les prétoriens de Saddam. La répression avait été observée l'arme au pied par les troupes de la coalition de l'époque, notamment par l'armée américaine qui avait laissé les hélicoptères irakiens prendre l'air.
Le choix de Doujail empêche ainsi Saddam de faire de son procès une caisse de résonance lui permettant d'en appeler au nationalisme irakien. Car la nostalgie des anciens baasistes et fonctionnaires du régime déchu mise à part, un nombre non négligeable d'Irakiens, oubliant la brutalité de Saddam Hussein, préfère se souvenir de la relative tranquillité qui régnait dans le pays, par comparaison avec la violence qui secoue actuellement l'Irak. «Pendant son audience précédente, Saddam s'était justifié d'avoir attaqué ces «chiens» de Koweïtiens», explique le docteur Ibrahim al-Basri, ancien médecin du raïs, libéré par les Américains en 2003 de la cellule où il croupissait depuis treize ans. «Il avait dit qu'il voulait protéger l'honneur des Irakiens, dont les créanciers koweïtiens allaient réduire les femmes à la prostitution. La majorité des Irakiens sont d'accord avec lui sur ce sujet», explique le médecin.
Les autorités irakiennes espèrent sans doute pouvoir rapidement exposer la culpabilité de l'ex-dictateur dans le massacre de Doujail. Selon des observateurs, Saddam Hussein, passible de la peine capitale, pourrait ainsi être rapidement exécuté. «Je ne crois pas qu'il sera exécuté tout de suite. Le juge est un kurde, et les Kurdes ne laisseront pas pendre Saddam pour quelques centaines de chiites sans avoir obtenu un procès pour leurs dizaines de milliers de morts. Le procès ne fait que commencer», assure Abou Ofa.

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