20.10.05

Les vraies raisons de la suspension du général Poncet

DÉFENSE Dans l'affaire qui a entraîné la suspension du général Poncet, les soldats français n'auraient pas agi en état de légitime défense.

Arnaud de La Grange
[Le Figaro, 20 octobre 2005]

CELA FAISAIT des mois que le – vrai – récit de l'accrochage du 13 mai, ayant causé la mort d'un Ivoirien, circulait dans des unités de l'armée française. Une affaire qui a entraîné la suspension du général Henri Poncet, ancien commandant français de l'opération Licorne en Côte d'Ivoire, soupçonné d'avoir couvert le décès de l'homme abattu par ses troupes. Le Figaro a pu reconstituer les faits.
Selon le compte rendu fait à l'époque, lors de la fouille d'un village, une patrouille de soldats français tombe sur un certain «Mahé», «coupeur de routes» accusé de cinq assassinats et autant de viols. Acculé, l'homme ouvre le feu. Riposte. Le bandit est blessé grièvement et décède lors de son transfert vers l'hôpital. «légitime défense».
La réalité est autre. «Mahé» est bien le triste sire décrit dans le compte rendu. Mais l'accrochage se déroule différemment. Lors d'une patrouille en rase campagne, les soldats français repèrent le délinquant le long d'une route. L'homme s'enfuit à travers champ. Le chef de peloton fait alors débarquer ses hommes, qui ouvrent tous le feu. Quelque 650 cartouches sont tirées. Blessé gravement, l'homme est laissé pour mort. Des villageois le ramènent ensuite sur la route où il meurt. Il n'y a donc pas L'unité en cause est un peloton du 4e régiment de chasseurs de Gap, la seule unité de cavalerie de la brigade d'infanterie de montagne (BIM). Ce peloton renforce le GTIA 2 (groupement tactique interarmées), déployé dans l'ouest de la Côte d'Ivoire et composé pour l'essentiel d'éléments du 13e BCA (bataillon de chasseurs alpins). C'est le chef de corps de cette dernière unité, le colonel Eric Burgaud, qui commande le GTIA. Il a été suspendu en même temps que le général Poncet et le chef de peloton du 4e chasseurs.
Le compte rendu qui remonte à Abidjan ne donne pas la bonne version des faits. Un officier a d'ailleurs refusé de le rédiger. Le général Poncet n'a donc pas eu le bon récit ? «Si, commente un officier, il était quand même au courant de ce qui s'était passé.»

Un «réflexe de chef»

Au sein de la brigade alpine, on est catastrophé. De l'avis général, le colonel Burgaud est un officier de haute valeur, «en pointe» . Il aurait voulu couvrir ses hommes. «C'est un réflexe de chef, commente un officier, qui a couvert une faute comme il doit en arriver dix par jours en Irak. Ce n'est pas une excuse, juste une explication. Il y a faute, mais on est loin d'actes odieux, de torture par exemple.»
Depuis deux jours, l'«affaire Poncet» agite, divise la communauté militaire française. La suspension du général Poncet est-elle un acte disproportionné ou une juste application des règles ? La bavure du 13 mai est-elle le prétexte à un règlement de comptes ? Est-ce la goutte d'eau qui a fait déborder le vase, le dossier du général étant beaucoup plus lourd ?
Le général Henri Poncet ne faisait pas l'unanimité. Le «chef de guerre» charismatique était adulé par ses fidèles mais le parachutiste fort en gueule décrié par «ceux qui ne sont pas de sa bande». «Poncet est du genre à couper la radio quand cela l'arrange, pour ne pas rendre compte et pour ne plus recevoir d'ordres, commente un général, il aime mener sa guerre sur le terrain». Cela, il le fait très bien. «Très peu de généraux français auraient été capables de faire ce qu'il a réussi» dans le bourbier ivoirien, a dit de lui le général Bentegeat, chef d'état-major des armées.
Le dossier «Bouaké» se profilerait-il derrière la mort de Mahé ? De nouveaux éléments sur le drame du 6 novembre 2004 – la mort de neuf soldats français lors d'un raid aérien ivoirien sur Bouaké – ont filtré hier. Et le nom du général Poncet apparaît logiquement. Il aurait été interrogé en février par le juge d'instruction Brigitte Raynaud, du tribunal aux armées de Paris, sur la capture de quinze mercenaires ukrainiens, biélorusses et russes, le lendemain du raid. Les autorités françaises ont affirmé que les pilotes de Sukhoï auteurs du bombardement étaient biélorusses. Pourtant, le général Poncet a déclaré au juge que les mercenaires, relâchés au bout de quatre jours, n'avaient pas été interrogés. Faute de cadre juridique, ce qui est vrai. «On ne peut mener ce type de mission, en sortant complètement «clean», et cela vaut pour Poncet comme pour les autres, commente un général, une ligne jaune a été franchie. Reste à savoir si d'autres l'ont été aussi et quelle était la grosseur du trait.»

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