10.10.05

«On les a dévêtus, déchaussés et envoyés mourir, sans eau»

Chassés de Ceuta et Melilla, des émigrants ont été lâchés en plein désert au Maroc.

Par José GARÇON

lundi 10 octobre 2005 (Liberation - 06:00)

Personne n'y croyait vraiment avant qu'une équipe de MSF (Médecins sans frontières) ne repère au moins 500 clandestins en plein désert, non loin de la frontière maroco-algérienne. Comment se sont-ils retrouvés là, livrés à eux-mêmes ? Il y a d'abord eu les Espagnols qui les ont expulsés - illégalement - de Ceuta et Melilla, il y a un peu plus d'une semaine, en leur criant : «Puto negro, puto negro !» (putain de nègre). Les forces de sécurité marocaines les ont ensuite raflés aux abords de ces deux enclaves, mais aussi dans d'autres villes du royaume, et, transportés de nuit dans treize autobus, elles les ont abandonnés dans le désert. Sans eau ni nourriture, souvent blessés, écorchés en tentant de passer les doubles barrières métalliques hérissées de barbelés séparant le nord du Maroc des enclaves de Melilla et Ceuta. «Il y avait parmi nous des femmes et des enfants. Quand on a vu qu'ils nous débarquaient, on a résisté et on leur a dit : "Vous ne pouvez pas nous abandonner ici à une mort certaine." On a essayé de bloquer leurs bus. Ils nous ont frappés et ils sont repartis. Ensuite, on a marché vers la frontière, mais les Algériens nous attendaient, les armes braquées sur nous», a raconté l'un d'eux. A bout de résistance, certains disent désormais : «On veut juste rentrer chez nous !»
Localisés. Au total, et selon une ONG espagnole, SOS-Racismo, ce sont quelque 2 400 émigrés africains qui ont ainsi été convoyés aux confins sud du désert marocain par les forces de l'ordre du royaume depuis la fin de la semaine dernière. Hier, un millier d'entre eux seulement avaient été localisés. Et deux diplomates guinéens recherchaient 70 compatriotes qui n'avaient laissé, dans la ville de Bouarfa, au Maroc, que des chaussures, des vêtements et des bouteilles d'eau éparpillés. «On les a dévêtus, déchaussés, et on les a envoyés mourir, sans eau», enrage l'un des diplomates.
Des camions militaires seraient toutefois allés rechercher, samedi soir, ces clandestins dont certains avaient trouvé refuge dans des villages, pour les ramener à Bouarfa. Toutes les nationalités ne sont cependant pas logées à la même enseigne. Le Mali et le Sénégal ont ainsi négocié avec Rabat le rapatriement par avion de leurs ressortissants. Selon MSF, les clandestins ont été séparés en trois groupes : les Sénégalais, les Maliens et les autres. Du coup, les diplomates guinéens ont assisté, hier, impuissants
Scandale. Les Africains présents à Melilla ne craignent donc plus qu'une chose : être refoulés vers le Maroc, puis convoyés dans le désert frontalier avec l'Algérie. Face au scandale, l'Espagne va-t-elle mettre fin aux expulsions de ceux qui ont réussi, après des années de tribulations à travers le continent, à s'infiltrer dans Ceuta et Melilla ? Un groupe de 140 émigrants devait en tout cas être évacué, hier, de Melilla vers des centres d'hébergement de la Péninsule.
De son côté, Rabat, qui a renforcé son dispositif de surveillance depuis l'offensive des 800 Africains, le 6 octobre, répète que «l'Europe ne peut pas se décharger sur le Maroc, lui-même victime de ces flux migratoires». Et son ministre de l'Intérieur, Mustafa Sahel, réclame une «aide substantielle, un vrai plan Marshall pour l'Afrique subsaharienne, afin de lutter contre l'immigration illégale à la source». Le chef de la diplomatie espagnole, Miguel Angel Moratinos, est en tout cas attendu aujourd'hui à Rabat, où devrait être conclu un accord demandant la «mobilisation urgente» des humanitaires internationaux pour aider les clandestins. En attendant, des sources militaires marocaines affirment que l'armée va ériger un mur et creuser un fossé autour d'une partie de Melilla pour dissuader les émigrants africains de s'y infiltrer. Quant aux expulsions, les Marocains affirment qu'elles se feront «dorénavant plus au sud, dans le désert, à 300 km au moins d'Oujda, vers Bouarfa». Et de préciser : «Il faut bien les renvoyer par cette voie puisque les Algériens ne font pas leur boulot de contrôle et aussi pour que les Subsahariens sachent que c'est désormais ardu d'entrer au Maroc.»
Contrôles. L'Algérie - qui peut fermer les yeux sur le passage par son territoire afin de mettre en difficulté le rival marocain et surtout compliquer ses relations avec l'Espagne - a déclaré, hier, suivre la situation «avec une vive préoccupation». Assurant qu'elle renforçait ses contrôles, elle précisait avoir pour cela besoin de l'appui de l'UE. Mais elle ne soufflait mot du sort des centaines d'Africains qui se trouvaient toujours, ce week-end, dans le désert à sa frontière avec le Maroc. Dans le plus grand dénuement.

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