1.11.05

Comment le régime syrien soutient la rébellion sunnite en Irak

Après avoir laissé pénétrer des combattants étrangers en Irak, la Syrie a renforcé son contrôle à la frontière. Mais les Américains fustigent toujours le double jeu de Damas.

Georges Malbrunot
[Le Figaro, 01 novembre 2005]

LES SYRIENS jurent avoir pris «toutes les dispositions» pour sécuriser leur frontière avec l'Irak. Faux, répondent les Américains qui dénoncent les «demi-mesures» de Damas. Qui dit vrai ? Les 700 kilomètres de désert entre les deux pays sont une passoire depuis longtemps. A la contrebande de cigarettes exploitée par les tribus, s'est ajouté depuis la guerre en Irak le passage des armes et des combattants étrangers. Juste après le conflit, les infiltrations avaient pour théâtre la région d'Abou Kamal sur l'Euphrate.
«Les djihadistes utilisaient le lit du fleuve pour entrer en Irak, y compris avec des véhicules», affirme un observateur. Côté syrien, jusqu'à la fin 2004, aucune présence humaine n'était notée dans le secteur. De leur côté, les Américains se limitaient à une surveillance électromagnétique, insuffisante pour repérer les passages clandestins. Aujourd'hui, du côté syrien de la frontière, la sécurité a été renforcée, mais la barricade de fils de fer barbelés reste insuffisante. A certains endroits, elle est aplatie, à d'autres, elle est arrachée ou engloutie dans le sable.
Au cours des mois qui ont suivi la prise de Bagdad par les Américains en 2003, Damas a d'abord fermé les yeux sur les infiltrations de combattants étrangers depuis son territoire. Politiquement, le dossier est alors confié à l'ancien numéro 2 du régime, Abdel Halim Khaddam, un sunnite qui noue des contacts avec les tribus sunnites d'Irak, vivier de la rébellion.
En même temps, Damas abrite des responsables baasistes irakiens en fuite, qui vont alimenter l'insurrection en hommes ou en argent. Juste avant la guerre, les Syriens s'étaient réconciliés avec leurs frères ennemis, pour les utiliser comme une carte contre des Américains qui haussent le ton contre Damas. Le service des renseignements militaires, dirigé par Assef Chaoukat, beau-frère du président Bachar el-Assad, s'appuie sur deux réseaux d'agents en Irak. Le premier est dirigé par un tandem constitué de Mohammed Younès al-Hamad, l'un des chefs de la guérilla qui va et vient entre l'Irak et Damas, et de Fawzi al-Rawi, un Irakien réfugié en Syrie depuis trente ans pour cause d'opposition à Saddam Hussein. Le second réseau, plus autonome, est regroupé autour des partisans de l'ancien numéro deux du régime de Saddam, Ezzat Ibrahim al-Douri, dont le fils est un des principaux inspirateurs de l'insurrection antiaméricaine en Irak.
Pendant ce temps, à l'aéroport de Damas, les djihadistes arrivent d'autant plus facilement des pays arabes qu'ils n'ont pas besoin de visa d'entrée en Syrie. A Alep, un imam radical encourage les fidèles au djihad.

Gros poissons expulsés

«Ce cheikh était en fait payé par un service de renseignement auquel il fournissait le nom des jeunes qui partaient en Irak», affirme un expert qui expose le double jeu de Damas. «Ceux qui revenaient en Syrie se faisaient arrêter par les Syriens, qui pouvaient dire ainsi aux Américains : regardez, on fait des efforts.»
Tous les djihadistes qui s'infiltrent en Irak ne sont pas sous commande syrienne. Peu à peu, Damas découvre qu'à leur retour, certains ramènent clandestinement des armes. En Syrie, d'autres reçoivent un appui logistique d'islamistes, ennemis jurés du régime. Celui-ci redoute la déstabilisation interne. Les menaces américaines redoublant, Damas durcit le ton. Fin 2004, les gros poissons du régime Saddam sont priés de trouver une nouvelle terre d'asile. De leur côté, des centaines de djihadistes vont être appréhendés (à ce jour, 1 046 ont été renvoyés dans leur pays). A cette époque, un muret est édifié le long de la frontière, et un nouveau dispositif de sécurité est mis en place. Officiellement, aujourd'hui, 10 000 gardes-frontières sont déployés face à l'Irak, et 541 positions ont été établies. Ces chiffres sont sans doute grossis.
«Ils ont environ 3 000 hommes», affirme un expert qui a recensé 82 positions, tous les deux kilomètres, entre Abou Kamal et la zone dite des trois frontières, un autre lieu de passage des djihadistes, aux confins de la Jordanie, la Syrie et l'Irak. Manque de moyens ou nouvelle preuve de duplicité ? Les gardes-frontières, qui sont quatre par position, ne disposent d'aucun équipement de transmission.
«Le double jeu syrien existe, reconnaît un diplomate occidental, mais sans doute pas autant que les Américains le prétendent.» Sous pression, les Syriens ont demandé des caméras de visions nocturnes aux Américains et aux Britanniques, mais le matériel sensible leur a été refusé. De la même manière, ajoute ce diplomate, «les Syriens ont raison de dire que les Irakiens ne font rien pour contrôler leur côté de la frontière». Les bataillons syriens évacués du Liban n'ont pas été redéployés dans le désert face à l'Irak. Au préalable, Damas voudrait que les Américains reconnaissent leurs efforts antiterroristes. «Les services syriens pensaient qu'en jetant de l'huile sur le feu en Irak, ils pousseraient les Américains à négocier avec eux, explique un Irakien réfugié à Damas. Ils se sont trompés», conclut-il.

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