23.11.05

Enquête sur un pseudo-complot

Cinéma Caméra d'or à Cannes en 1998 pour Slam, le cinéaste continue d'explorer la société américaine à travers des documentaires-fictions. Dans Les Protocoles de la rumeur, il s'interroge sur le regain d'antisémitisme après la tragédie du 11 septembre 2001.

Brigitte Baudin
[Le Figaro, 23 novembre 2005]

AU LENDEMAIN du 11 septembre 2001, alors que les tours jumelles venaient à peine de s'écrouler faisant des milliers de victimes, d'étranges rumeurs ont couru partout dans le monde comme quoi les juifs auraient commandité les attentats terroristes de New York et de Washington. Frappé par ce regain d'antisémitisme larvaire, Marc Levin décide d'enquêter sur le terrain et de réaliser Les Protocoles de la rumeur, un documentaire sans parti pris. Dans ce voyage au coeur de la haine et du mensonge, il a interrogé des gens de tous les partis, de toutes les races, de tous les bords sans discrimination aucune : Shawn Walker le leader du groupe néonazi Alliance, des prisonniers de droit commun, des hommes et des enfants de la rue, des communautés noires du New Jersey, des rabbins et des Palestiniens. Son but ? comprendre, constater un état de fait, une situation nouvelle pour lui.
«Je suis né et j'ai grandi au New Jersey dans les années 60 dans un milieu ouvert, cosmopolite, sans jamais souffrir de l'antisémitisme, avoue Marc Levin. Mon père, qui figure dans le film, était correspondant du New York Post et grand spécialiste des problèmes raciaux et de la politique intérieure américaine. Il a bien connu Martin Luther King. Je l'ai embarqué dans cette aventure malgré moi. Très vite, sa présence m'est devenue indispensable. Ce film en fait était une quête personnelle. Je me trouvais tout à coup confronté à un problème qui me dépassait. Les paroles de haine, d'intolérance que j'entendais étaient si fortes qu'il fallait apporter une touche d'émotion, un regard plus humain, un humour, une légèreté au propos. C'est ce que mon père a su si bien apporter.»
Outre les nombreux témoignages recueillis durant son périple, Marc Levin a nourri son film de ses lectures. Il s'est tout particulièrement inspiré des Protocoles des Sages de Sion, un livre sulfureux édité partiellement en Russie, en 1903, dans le journal Znamia, puis en version complète entre 1905 et 1906. Compte rendu d'une vingtaine de réunions judéo-maçonniques secrètes au cours desquelles ces sages de Sion exposeraient un plan de domination du monde.

Théories du mensonge

«C'est une des plus grandes mystifications du XXe siècle, précise Marc Levin. J'ai découvert l'existence de ce texte il y a plus de trente ans, lors d'un voyage en Israël. J'ai cru tout d'abord à un canular, une plaisanterie de mauvais goût. J'ai réalisé ensuite et tout particulièrement après les événements du 11 septembre que ce livre avait des émules dans le monde entier qui croyaient dur comme fer à ce soit disant «complot juif». J'étais sidéré. En 1925, dans Mein Kampf, Hitler l'utilise pour appuyer ses théories du mensonge permanent sur lequel repose l'existence du peuple juif. Mais, le livre qui m'a le plus surpris et choqué est Le Juif international de Henry Ford paru en 1920. Quant à Constantine's Sword de James Caroll traitant des relations entre l'église catholique et les juifs à travers 2 000 ans d'histoire, il m'a permis d'envisager des perspectives plus historiques et, surtout, de mieux comprendre la polémique autour de La Passion du Christ, le film de Mel Gibson.»


n «Le Complot, l'histoire secrète des Protocoles de Sion»,bande dessinée de Will Eisner, vient de sortir aux Éditions Grasset.

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