28.11.05

James Corum : «Encore deux ou trois ans avant de pouvoir assurer la relève»

Professeur à l'école d'état-major et de commandement de l'armée américaine, le lieutenant-colonel James Corum a effectué des missions de formation des forces de sécurité irakiennes à Bagdad.

Propos recueillis par G. M.
[Le Figaro, 28 novembre 2005]

LE FIGARO. – Comment se passe la formation de la police et de l'armée irakiennes?


Lieutenant-colonel James CORUM. – C'est toujours problématique. Seul un petit nombre d'unités est capable d'opérer sans soutien américain : entre un et trois bataillons, c'est-à-dire entre 700 et 2 100 soldats (NDLR : sur la centaine de mille que doit compter l'armée irakienne). Seules les brigades chargées des opérations spéciales et le commando des forces spéciales de la police sont réellement efficaces, face aux insurgés. Or, pour lutter face à une guérilla, la police est une pièce maîtresse. Du fait de sa proximité avec la population, c'est elle qui est la mieux placée pour récolter le renseignement. Si la police est incompétente, elle n'aura pas la confiance de la population, qui ne lui fournira aucun renseignement sur l'insurrection. En outre, dans certaines régions ou quartiers chiites, la police est dépassée par les milices. Pour la police des frontières, des milices toutes-puissantes constituent un autre problème, d'autant que son encadrement et sa chaîne de commandement sont encore médiocres.


Pourquoi de telles erreurs ?


Nous pensions que la formation irait beaucoup plus vite. Mais le Pentagone a commis l'erreur de partir en guerre sans plan de reconstruction des forces de sécurité irakiennes. Lorsque nous sommes arrivés à Bagdad, nous ne connaissions même pas la localisation des 56 postes de police détruits après la chute de la capitale. Le tournant s'est produit en 2004. Jusque-là, nous avions parié sur la quantité. Nous voulions aller vite. Nous avons donc recruté à tour de bras. Nous étions persuadés qu'après la capture de Saddam Hussein en décembre 2003 la guérilla allait s'effondrer. Ce ne fut pas le cas. Le choc est venu peu après, lorsque le deuxième bataillon de l'armée s'est débandé, quand on lui a demandé d'aller combattre la guérilla. La priorité aurait dû nous conduire à sélectionner les meilleurs officiers pour les envoyer en formation dans les écoles de guerre aux Etats-Unis, en Angleterre ou en Australie. Hélas, nous avons perdu beaucoup de temps. Ce n'est que récemment que nous avons consacré des moyens qui soient à la hauteur de la tâche. Nous avons maintenant plusieurs centaines d'instructeurs américains à Bagdad, contre quarante seulement auparavant.


Quand les forces irakiennes pourront-elles prendre la relève et permettre ainsi le retour des troupes américaines à la maison ?


Il faudra encore deux ou trois ans avant que les Irakiens puissent se débrouiller. L'état-major américain aurait dû comprendre que des années d'investissements constants sont nécessaires pour construire une armée et une police compétentes. Cela est particulièrement vrai quand on hérite de forces de sécurité politisées et corrompues. Il serait désastreux de se retirer, en laissant derrière nous des forces de sécurité inefficaces. Ne nous voilons pas la face. Nous sommes confrontés à un problème politique : quels que soient les succès à venir de l'armée et de la police, si on n'arrive pas à intégrer les sunnites dans le processus politique, la situation empirera.

Aucun commentaire: