10.11.05

Judith Miller quitte le "New York Times"

LE MONDE | 10.11.05 | 16h25 • Mis à jour le 10.11.05 | 16h25
CORRESPONDANT WASHINGTON

Le New York Times a annoncé, mercredi 9 novembre, le départ de sa journaliste Judith Miller, après plusieurs semaines de polémiques. Officiellement, Judith Miller, 57 ans, "a choisi de prendre sa retraite", après 28 ans de travail au quotidien de la 43e Rue. Cette décision intervient après plusieurs jours de négociations, portant sur ses indemnités et sa volonté de s'expliquer dans le journal.
Elle a publié, dans l'édition du 10 novembre, une lettre d'adieux. "Je pars avec des sentiments mêlés , principalement parce que ces derniers mois je suis devenue un sujet d'actualité", explique-t-elle. La journaliste fait référence à sa mise en détention, mais aussi à ses articles erronés sur les armes de destruction massive en Irak.
"J'étais devenue un paratonnerre de la colère publique à propos des faux renseignements qui ont contribué à conduire notre pays à la guerre ", dit Mme Miller, qui a été surnommée dans son propre journal par l'éditorialiste Maureen Dowd : "Femme de destruction massive" .
En juillet, la reporter apparaissait comme une victime, qui défendait la liberté de la presse, emprisonnée pour avoir défendu ses sources. Elle en est sortie, le 26 septembre, pour tomber dans "quarante jours de cauchemar ", dit-elle. Elle a essuyé un feu de critiques, à l'extérieur comme à l'intérieur de sa rédaction, sur ses relations avec Lewis Libby, l'ancien directeur de cabinet de Dick Cheney, mis en examen dans l'enquête sur la révélation de l'agent de la CIA, Valerie Plame, femme de l'ambassadeur Joseph Wilson, critique virulent de la politique américaine en Irak.

SACRIFICE PERSONNEL

Le PDG du New York Times , Arthur Sulzberger ­ qui l'a défendue pendant plusieurs mois ­ a rendu hommage à la journaliste : "Nous sommes reconnaissants à Judy pour son sacrifice personnel significatif pour défendre un principe important du journalisme. Je respecte sa décision de prendre sa retraite du Times."
Au-delà de ce cas particulier, c'est l'ensemble du New York Times qui a été critiqué pour sa gestion de la crise. Le journal avait publié plusieurs éditoriaux pour faire de sa journaliste un symbole du combat pour le premier amendement, qui garantit la liberté de la presse.
L'enquête du procureur spécial Patrick Fitzgerald a révélé que le témoignage de Mme Miller était déterminant pour l'enquête qui a permis d'inculper Lewis Libby pour tentative d'obstruction de justice, parjure et faux témoignages. Une affaire baptisée "Plamegate", qui est en train de déstabiliser le président Bush.
Cela a nourri un malaise grandissant au sein de la rédaction qui a mené une contre-enquête sévère à l'encontre de sa journaliste.
Lauréate du prix Pulitzer, mais reporter jugée incontrôlable, Judith Miller était une figure controversée de la rédaction. Elle a été interdite d'écrire à nouveau sur les armes de destruction massive par le directeur de la rédaction, Bill Keller, qui a pris ses fonctions en juillet 2003.
Malgré ces antécédents, M. Sulzberger a reconnu avoir "laissé le volant" à Judith Miller. Ni lui ni Bill Keller n'ont interrogé la journaliste sur sa source et sur son rapport avec l'enquête de M. Fitzgerald.
Le quotidien a été à nouveau la cible d'attaques virulentes mettant en cause sa crédibilité, deux ans après le scandale Jayson Blair, qui "bidonnait" ses reportages, et le départ du directeur de la rédaction Howell Raines.
L'affaire Miller survient au moment où des suppressions de postes ont été annoncées. Le New York Times est pourtant l'un des rares quotidiens américains à avoir augmenté sa diffusion (1 126 000 exemplaires, + 0,5 %) au cours des six derniers mois.

Alain Salles
Article paru dans l'édition du 11.11.05

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