11.11.05

La dégradation écologique autour de la Méditerranée risque d'aggraver la fracture Nord-Sud

LE MONDE | 11.11.05 | 14h29 • Mis à jour le 11.11.05 | 14h29

e risque pour la Méditerranée de 2025 est la perspective d'une fracture sociale, économique et environnementale entre les deux rives." Rarement un rapport officiel sur l'environnement n'avait si nettement articulé les questions écologiques et politiques. L'étude menée par le Plan Bleu, organe des Nations unies pour la Méditerranée, affiche clairement ce lien. Elle est publiée (Méditerranée, éditions de l'Aube) alors que se termine, vendredi 11 novembre, à Portoroz (Slovénie), la réunion des Etats membres de la Convention de Barcelone pour la protection de la Méditerranée.
Le bilan environnemental des pays riverains est négatif : presque tous les indicateurs évoluent vers un rouge toujours plus vif. Dans les années à venir, la pression démographique s'accroîtra inexorablement, même si les pays du Sud manifestent une "chute spectaculaire des indices de fécondité". L'inertie des mouvements démographiques entraînera ainsi une augmentation de 40 % en 2025 du nombre d'habitants dans les pays du sud et de l'est du bassin. Si les tendances se poursuivent, l'activité économique ne permettra pas de fournir suffisamment d'emplois aux jeunes générations, ce qui maintiendra "une forte insatisfaction sociale et une pression élevée à l'immigration", ces évolutions pouvant conduire "à des risques d'instabilité, sources de conflits potentiels". Le raidissement des tensions environnementales jouera un grand rôle dans cette évolution. La marginalisation des arrière-pays appauvrirait l'agriculture, affaiblie de surcroît par une urbanisation non maîtrisée qui mangera les sols.
Or l'agriculture n'est que rarement soutenue, notamment "en raison d'un manque de considération pour les populations rurales de la part des élites urbaines dominantes". Cela conduit à la pauvreté et à un exode rural engorgeant des villes qui peinent à maîtriser leur croissance. Les politiques nationales ne sont pas seules en cause : le rapport souligne qu'une "libéralisation non régulée du commerce international des produits agricoles" pourrait avoir "des effets très négatifs pour les régions rurales fragiles". Par ailleurs, le recul de l'agriculture, l'artificialisation des sols, la réduction des zones d'expansion des crues "sont autant de facteurs qui accroissent considérablement la vulnérabilité" aux accidents, au premier rang desquels se trouvent les inondations.
La croissance incontrôlée de la consommation d'eau ­ - plus 25 % attendue d'ici à 2025 ­ - risque aussi de conduire à des véritables crises d'approvisionnement. Aujourd'hui déjà, on estime que 30 millions d'habitants des pays riverains n'ont pas un accès permanent à l'eau potable. Ce chiffre devrait augmenter à l'avenir : selon un autre instrument de mesure, le nombre d'habitants en situation de pénurie (moins de 500 m3 par individu et par an) passerait de 45 millions en 2000 à 63 millions en 2025. La situation sera particulièrement tendue pour les pays qui prélèvent plus de 75 % des ressources annuellement disponibles (Egypte, Libye, Israël, Palestine, Espagne). Les experts déplorent que les politiques adoptées visent à augmenter l'offre d'eau par des grands travaux (barrages, aménagements, transferts, dessalements) dont le coût et les effets sur les écosystèmes sont négatifs. Mieux vaudrait, proposent-ils, viser à maîtriser les consommations, voire à les diminuer par des programmes d'économie.
Le changement climatique exerce lui aussi des pressions sur l'environnement méditerranéen. Son impact, encore mal appréciable, jouera dans le mauvais sens, aggravant notamment un phénomène de désertification provoqué par de mauvaises pratiques agricoles. De même, la demande d'énergie, si elle n'est pas contrôlée, pourrait augmenter de moitié d'ici vingt ans, alors qu'elle a déjà doublé dans les trente dernières années.
Le Plan Bleu appelle à des changements de politiques, tournés notamment vers la maîtrise des sols, une plus grande attention accordée à l'agriculture, le contrôle des demandes d'eau et d'énergie. Des réussites ponctuelles montrent que cela n'est pas impossible : la Tunisie suit une stratégie d'économie de l'eau efficace ; le Maroc mène une politique rurale basée sur la participation des populations pour lutter contre la désertification ; l'Italie est en pointe dans l'agriculture biologique. Mais, globalement, "les questions écologiques ne sont pas encore prioritaires pour les Etats", note Lucien Chabason, président du Plan Bleu. Un exemple est celui de l'Espagne, qui ne remet pas en cause l'agriculture irriguée dans le Sud, malgré le manque d'eau, et qui a vu ses émissions de gaz à effet de serre croître de 40 % depuis 1990, alors qu'elle est engagée par le protocole de Kyoto à limiter sa hausse à 15 %.
Les discussions de Portoroz, qui s'achèvent le 11 novembre, sont un bon test pour mesurer l'évolution des esprits des gouvernements. Ils ont notamment accepté d'entamer des discussions pour un éventuel protocole sur la protection des zones côtières. Inspiré par la loi Littoral français, le texte de travail vise à maîtriser l'urbanisation et à maintenir des zones non construites, alors que la pression touristique ne cesse d'augmenter. Le projet sera discuté à Barcelone dans deux ans. Mais ce n'est là qu'une solution partielle aux multiples défis environnementaux qu'affrontent les pays méditerranéens.

Hervé Kempf
Article paru dans l'édition du 12.11.05

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