25.11.05

Le Pentagone redécouvre les opérations de stabilisation

Tirant les leçons des bourbiers irakien et afghan, les stratèges américains commencent à réviser leur doctrine.

Arnaud de La Grange
[Le Figaro, 25 novembre 2005]

DANS LE JARGON du Pentagone, la phase IV, dite des «opérations de stabilisation», intervient immédiatement après la phase III, celle des combats. Cette étape est aujourd'hui le maillon faible de la chaîne opérationnelle américaine, et les stratèges de George W. Bush le reconnaissent publiquement. Le bourbier irakien et les difficultés afghanes, il est vrai, ne leur laissent guère le choix.
Aveuglés par le sentiment – fondé il est vrai – de supériorité militaire écrasante sur le reste du monde, ils ont gravement sous-estimé les difficultés des missions de pacification. L'heure est venue de corriger le tir. Le Pentagone serait ainsi sur le point d'approuver une nouvelle directive donnant leurs lettres de noblesse aux «opérations de stabilisation». Les élevant même, dans la hiérarchie des missions militaires, au même niveau que les opérations de combat de haute intensité.
Loin d'être une simple réflexion théorique, cette nouvelle doctrine pourrait avoir des conséquences importantes sur l'organisation des forces, les spécialités militaires privilégiées et les choix d'équipements. Selon le New York Times, la directive a fait l'objet d'intenses négociations au sein du département de la Défense. Mais le débat concerne aussi le département d'État et d'autres agences civiles, puisqu'il s'agit de mobiliser toutes les ressources gouvernementales dans les opérations de sortie de conflits. Le dernier projet de directive vient d'être remis pour visa au secrétaire adjoint à la Défense, Gordon England. Il y est écrit que «les opérations de stabilisation doivent être aussi prioritaires que les opérations de combat, et intégrées à tous les niveaux de l'organisation de la Défense».

80% des budgets d'intervention

Le Congrès ne s'est pas privé de critiquer l'Administration Bush et le Pentagone pour avoir «omis» de fourbir des plans sérieux pour reconstruire l'Irak après sa conquête militaire. En Afghanistan même, où les difficultés sont pourtant moindres, sont pointées des lacunes en personnels compétents pour relever l'économie, reconstruire les infrastructures, lutter contre le trafic de drogue ou développer des institutions politiques démocratiques. Or, depuis la fin de la guerre froide, les opérations de stabilisation ont monopolisé 80% des budgets d'intervention, contre 20% pour les opérations de combat.
Pour «institutionnaliser» les opérations de stabilisation au sein du Pentagone, trois pistes sont notamment avancées. S'organiser pour mieux exploiter la «cinquième force», comme les militaires appellent la ressource civile. On y a déjà fait copieusement appel en Irak, où 60 000 contractuels civils sont déployés. Plusieurs millions de dollars devraient ainsi être transférés du Pentagone vers le département d'État pour participer au déploiement des experts civils. Mais si les militaires ne peuvent et ne doivent pas tout faire, ils doivent être «prêts à réaliser toutes les tâches que les civils ne peuvent accomplir».

Petite révolution culturelle au Pentagone

Deuxième piste, une meilleure «communication» envers les populations des pays à pacifier, le moins que l'on puisse dire étant que le message des GI n'est pas toujours bien passé en Mésopotamie. Enfin, il s'agit d'augmenter le recrutement de «professionnels confirmés» parmi les réservistes envoyés sur le terrain. Le document reconnaît que nombre des tâches de stabilisation sont aussi «plus efficacement réalisées par des ressources locales ou étrangères».
Une petite révolution culturelle est peut-être en route au Pentagone. Jusqu'à présent, ses hauts responsables civils, néoconservateurs héritiers de la fameuse «doctrine Wohlstetter», misaient sur la supériorité technologique et militaire pour répandre la démocratie sur les marches troublées du premier monde.

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