25.11.05

Dernière chance de compromis avec l'Iran

Renaud Girard
[Le Figaro, 25 novembre 2005]

Téhéran, qui est soupçonné de vouloir se doter de l'arme nucléaire, sous couvert d'un programme civil, a manifesté la volonté de reprendre les négociations avec l'Occident, interrompues en août. Les griefs sont nombreux : les inspecteurs onusiens ont pu visiter le site de Parchine et interroger deux hauts responsables du programme nucléaire iranien, mais ils ne peuvent toujours pas accéder au site de Lavizan. L'Europe estime qu'il existe une «fenêtre d'opportunité» pour la reprise de négociations avec Téhéran. Selon une proposition russe, l'Iran pourrait convertir l'uranium sur son sol, mais il dépendrait de Moscou pour la phase suivante, l'enrichissement.
La république islamique d'Iran a toujours proclamé que son programme nucléaire était exclusivement civil et qu'elle respectait donc à la lettre les clauses du traité de non-prolifération de 1970 (TNP), dont l'Iran est signataire.
En réalité, le régime de Téhéran développe, sous le nom de plan n° 111, un programme balistico-nucléaire qui ambitionne d'égaler celui d'un pays comme la France des années 70. Conçus à partir d'une technologie nord-coréenne, les missiles iraniens de portée intermédiaire (1 800 km) Shehab-3 sont relativement bien connus des Occidentaux. Très curieusement, ils sont munis d'un système d'ouverture de la charge extrêmement sophistiqué et coûteux, dont les spécifications ne sont requises que pour les ogives nucléaires.
Autant les services de renseignement occidentaux connaissent bien les aspects balistiques du programme 111, autant ils sont dans le flou sur ses aspects nucléaires. Quand il fut devenu impossible de le cacher, les Iraniens ont reconnu devant l'AIEA disposer d'installations d'enrichissement d'uranium.

Double suspicion

Enrichir l'uranium ne constitue pas en soi une infraction au TNP, le traité de non-prolifération. Mais l'inquiétude occidentale est nourrie par deux éléments : le côté clandestin du programme et son aspect totalement anti-économique. Les Iraniens dépensent des fortunes à produire leur propre combustible nucléaire, alors qu'il leur serait beaucoup plus rentable de se fournir sur le marché.
Le minerai d'uranium est transformé en yellow cake à l'usine de conversion d'Ispahan, puis enrichi par ultracentrifugation à l'installation souterraine de Natanz. Les Iraniens ont reconnu avoir construit 164 centrifugeuses, sur des plans vendus par le père de la bombe pakistanaise, Abdul Qader Khan, qui les avait lui-même volés lors d'un stage qu'il avait effectué au sein du consortium européen Urenco en Hollande.
On estime qu'avec ses 164 centrifugeuses déclarées, l'Iran serait capable de produire 2 kilos d'uranium militaire (enrichi à 95%) par an. Or la masse critique nécessaire à la fabrication d'une bombe atomique est de l'ordre d'une vingtaine de kilos. La question est de savoir si les Iraniens disposent d'autres installations secrètes d'enrichissement.
La seule contre-indication existant pour une installation d'ultracentrifugation est l'instabilité sismique. Le territoire iranien étant particulièrement sujet aux tremblements de terre, les services de renseignement occidentaux se demandent si les Iraniens ne sont pas allés enrichir leur uranium en Malaisie.
Les Russes construisent actuellement, sur le site de Boucheir, une centrale nucléaire de production d'électricité dite «à eau pressurisée». Ce type de réacteur n'est guère proliférant, à la différence des réacteurs Candu (Canadian deuterium uranium), producteurs de plutonium de qualité militaire, qui furent livrés dans les années 70 à des pays désireux de fabriquer la bombe atomique, comme l'Inde ou l'Argentine.
La construction de cette centrale d'une puissance de 1 000 MW devrait être achevée en 2007. Par contrat, les Russes se sont engagés à la fournir en uranium enrichi (à 5%, le taux requis pour les applications civiles) durant toute la durée de vie du réacteur, ainsi qu'à ramener chez eux les déchets, pour les retraiter ou les stocker. A la faveur de la signature de ce contrat en février 2005, la Russie s'est engagée à former dans ses instituts nucléaires spécialisés quelque 700 nouveaux stagiaires iraniens.
Cet aspect du contrat est particulièrement troublant, dans la mesure où, à l'évidence, la centrale de Boucheir ne nécessite pas la présence de 700 ingénieurs hautement spécialisés. Et personne n'est en mesure de contrôler les endroits où travailleront plus tard, en Iran, les experts formés en Russie.

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