7.12.05

L'armée américaine se redéploie en Europe

Arnaud de La Grange
[Le Figaro, 07 décembre 2005]

L'accord signé mardi en Roumanie est la première étape de la nouvelle stratégie décidée par l'Administration Bush en août 2004.

DES MILLIERS, des dizaines de milliers, même, de boys rentrant au pays. Le rapatriement, décidé par Washington, d'importantes unités basées en Europe pourrait apparaître comme un repli, un réflexe isolationniste. Dans l'esprit des stratèges du Pentagone, c'est tout le contraire. Pas de retrait, mais redéploiement stratégique pour s'adapter aux nouvelles menaces, le terrorisme essentiellement.
Qualifiée d'«historique», la signature hier d'un accord offrant des facilités aux forces américaines en Roumanie est emblématique de ce mouvement. D'un glissement de la «vieille» à la «nouvelle Europe». L'annonce de ce redéploiement avait d'ailleurs été interprétée par certains, en août 2004, comme une volonté de l'Administration Bush de punir la fronde des alliés historiques, qui refusaient de la suivre dans l'aventure irakienne. Vrai et faux à la fois.

Des arrière-pensées économiques

Vrai, car il y a bien chez Donald Rumsfeld l'intention de ne plus être entravé par des contingences politiques, de limiter la dépendance par rapport à des alliés difficiles à gérer diplomatiquement. La guerre contre Saddam Hussein, en 2003, a servi de leçon. La Turquie avait mis son veto à l'utilisation de son sol comme base arrière pour les opérations dans le nord de l'Irak. A l'inverse, les pays d'Europe de l'Est s'étaient montrés excellents camarades. Prenant le contre-pied de la France et de l'Allemagne, ils avaient signé les fameuses «lettre de Vilnius» et «lettre des Huit», soutenant la position américaine. Certains d'entre eux se trouvent aujourd'hui récompensés.
Faux, car ce redéploiement américain découle d'une réflexion de fond lancée bien avant le 11 Septembre, dans les années 90. «Rumsfeld n'a fait qu'accélérer tout cela, commente Etienne de Durand, chercheur à l'Institut français des relations internationales (Ifri). Il s'agit d'un projet très ambitieux, qui prendra de longues années et coûtera très cher. Nul ne peut d'ailleurs dire où l'on en sera dans dix ans. C'est l'héritage de la guerre froide que Washington solde aujourd'hui, pour passer à une posture globale. L'idée maîtresse est de se rapprocher au plus près des zones de crise (*).» Donc du pourtour du «grand Moyen-Orient».
L'heure est donc au désengagement des zones de déploiement traditionnel – l'Europe occidentale et l'Asie du Nord-Est – pour multiplier les avant-postes aux frontières du chaos. Les forces américaines en Europe vont passer de 112 000 hommes aujourd'hui à quelque 50 000. Un certain nombre d'unités lourdes, comme deux divisions déployées en Allemagne, vont être rapatriées aux Etats-Unis. Elles seront remplacées par des unités plus légères, mobiles, dont la flexibilité permet une projection plus rapide.
Des forces notamment équipées du nouveau blindé léger Stryker, étrenné en Irak. «A ce redéploiement correspond une grande réforme de l'armée de terre, commente Etienne de Durand, il s'agit de casser les grandes divisions pour les répartir en brigades déployables de manière autonome.»
Les nouvelles bases américaines seront désormais divisées en trois catégories principales :
– les MOB (Main Operating Bases), qui correspondent aux anciennes grandes bases comme celle de Ramstein en Allemagne ou Aviano en Italie. Des installations clés dans toutes les dernières crises, balkaniques ou moyen-orientales.
– les FOS (Forward Operating Sites), des postes avancés aux portes des zones de crise. Les unités, plus légères, y seront déployées dans le cadre de rotations de six mois. Elles s'y entraîneront avec les armées locales. A la différence des bases traditionnelles, les familles ne suivront pas, ce qui réduira d'autant les coûts.
– les CSL (Cooperative Security Locations), installations qui ne seront activées qu'en cas de besoin et dont la maintenance pourra être assurée par des forces locales ou des entreprises privées.
S'il répond à des objectifs stratégiques et politiques, ce redéploiement militaire américain n'est pas dépourvu d'arrière-pensées économiques. Les pays d'Europe de l'Est, déjà incités par les normes Otan, sont des clients potentiels pour l'industrie d'armement américaine. En 2003, la Pologne a ainsi acheté des avions de chasse F 16, au grand dam des Européens, Français ou Suédois notamment. Juste après la signature de ce joli contrat, George W. Bush, en visite à Varsovie, avait déclaré : «Je n'ai pas de meilleur ami en Europe que la Pologne.»

(*) Lire Le Redéploiement global des forces américaines, in Politique étrangère, décembre 2005.

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