25.1.06

Le témoignage accablant d'un ex-diplomate britannique

LE MONDE | 25.01.06 | 13h56
STRASBOURG ENVOYÉE SPÉCIALE

Ancien ambassadeur du Royaume-Uni en Ouzbékistan, de 2002 à 2004, Craig Murray a été entendu comme témoin, mardi 24 janvier, par la commission des questions juridiques et des droits de l'homme du Conseil de l'Europe, à l'occasion de la publication du rapport du sénateur suisse Dick Marty sur les transferts secrets de prisonniers par la CIA vers des pays tiers où ils seraient torturés. M.Murray avait été renvoyé du Foreign Office en octobre 2004, après avoir publiquement dénoncé l'utilisation par les services secrets britanniques et américains d'informations recueillies au moyen de la torture, notamment en Ouzbékistan.
"Lorsque j'étais en fonctions , a raconté M.Murray à des journalistes, j'ai eu la preuve que les Etats-Unis avaient transféré vers l'Ouzbékistan, pour qu'ils y soient interrogés, des prisonniers en provenance de la base de Bagram en Afghanistan. Il s'agissait de ressortissants ouzbeks, et aussi, j'en ai la conviction, de citoyens afghans d'origine ouzbèke ". La pratique de la torture dans les prisons d'Ouzbékistan a été décrite par un rapport de l'ONU en 2002 comme "étendue et systémique".
Le MI-6 (services secrets britanniques), la CIA, le GCHQ et la NSA (respectivement les renseignements militaires britanniques et américains), "admettent parfaitement de recevoir et d'utiliser des informations obtenues par la torture" dans des pays étrangers, affirme M.Murray.
" Lorsque j'exerçais mes fonctions au Foreign Office, j'ai vu des documents de la CIA dont le contenu provenait pour la plupart de dépositions de prisonniers torturés. Ces documents étaient intitulés "From Detainee Briefing " (Provenant d'une déclaration de détenu) sans que les conditions dans lesquelles cela avait été fait ne soient précisées", relate M.Murray.
L'absence de pareils détails, ainsi que de noms des personnes interrogées, "permet à des gens comme Condoleeza Rice ou Jack Straw de prétendre que, à leur connaissance, ils n'ont jamais fait usage d'informations recueillies sous la torture. En réalité, c'est faux", accuse M.Murray. "Au niveau opérationnel, au niveau du travail sur le terrain, chacun sait très bien comment ces information sont obtenues". Le subterfuge des responsables américains et britanniques, dit-il, consiste à prétendre ne jamais avoir ordonné spécifiquement qu'un détenu soit torturé, que ce soit par des agents américains ou étrangers.
L'ancien ambassadeur souligne que cette acceptation non dite de la torture est au coeur du système des "restitutions" de prisons par la CIA à des pays étrangers, dénoncé dans le rapport de Dick Marty.
M.Murray met par ailleurs fortement en doute la qualité des informations obtenues par ces méthodes, en Ouzbékistan ainsi que dans des pays du Moyen-Orient vers lesquels les vols secrets de la CIA ont été dirigés. " J'ai eu connaissance de centaines de cas en Ouzbékistan où les personnes détenues l'étaient pour des motifs religieux ou politiques, sans avoir le moindre lien avec le terrorisme. Dans seulement une poignée de cas, la torture n'avait pas été utilisée".
M.Murray raconte avoir été rappelé à Londres en 2003, par les services britanniques, pour être rabroué, après avoir écrit dans un de ses télégrammes d'ambassadeur : " Nous avons reçu, via les Etats-Unis, des renseignements obtenus sous la torture par les services secrets ouzbeks. Nous devrions arrêter cela. Ce sont de toute façon de mauvais renseignements".

Natalie Nougayrède
Article paru dans l'édition du 26.01.06

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