6.1.06

Salut Arik

Sharon, mis sous coma, est « sans changement » a annoncé vendredi matin (AFP 06.01.06 | 06h23) le directeur de l'hôpital de Jérusalem où il est soigné. « La nuit s'est passée sans changement. Tous les paramètres que nous mesurons sont conformes aux normes et il n'y pas de pression sanguine dans la boîte crânienne, ce qui est en un signe positif », a déclaré le professeur Shlomo Mor Yossef.
Avec la mort progammée de l'ancien général et actuel Premier ministre israélien, un an et quelques mois après son ennemi intime Yasser Arafat, c'est une nouvelle page, durable, qui va se tourner dans un Proche et Moyen-Orient qui a déjà vu partir ses grands hommes, à l'exception de Hosni Moubarak. Sur la scène israélienne, où Ariel Sharon tient parmi les héros fondateurs de la patrie, il est un des derniers, sinon le dernier, bien loin devant l'homme des occasions râtées qu'est Shimon Peres.
Deux lectures sont maintenant possible. La première est liée aux élections législatives du 28 mars prochain. Selon toute vraissemblance, dans les échos de l'hospitalisation du Premier ministre, Kadima, le parti qu'il a créé de toutes pièces le 21 novembre dernier, devrait encore l'emporter. Jamais depuis David Ben Gourion, le père de la nation, les Israéliens n'ont eu autant confiance en l'un de leurs dirigeants. Comme si Ariel Sharon, le guerrier, le baroudeur indiscipliné, s'était mué, malgré les déboires de sa longue carrière politique et les scandales de corruption qui entâchent sa fin d erègne, en un vieux sage.
Aussi, comme après l'assassinat, en novembre 1995, du Premier ministre, Itzhak Rabin, l'ombre des douze tribus risque de ressurgir. Certes, la continuité des institutions est incarnée par Ehoud Olmert, qui assure l'intérim du Premier ministre et fait figure de dauphin au sein de Kadima. Mais l'ancien vice-Premier ministre fait « pâle figure, comparé à Sharon », comme le note Akiva Eldar, éditorialiste au Haaretz. Il n'a pas non plus d'assise politique. Il n'est donc pas évident que le parti le désignera pour succéder à Sharon. Sans Arik, son principal élément unificateur, Kadima ressemble à un assemblage hétéroclite en proie aux divisions internes. Il fédérait cet attelage de « pragmatiques », modérés du Likoud ou personnalités de gauche, comme l'ancien Premier ministre Shimon Pérès. Avec Kadima, il avait su coller aux aspirations de ses concitoyens : la sécurité et le désengagement vis-à-vis des Palestiniens, pour préserver la majorité juive de l'Etat hébreu et donc son caractère démocratique. Que restera-t-il de ces grandes espérances quand Bibi,le Sarkosy de la scène politique israélienne, Benyamin Netanyahou. Son expérience d'ancien Premier ministre – aussi impopulaire fût-il – joue en faveur de l'ancien ministre des Finances de Sharon. Il représente une intégrité que n'ont pas ses principaux concurrents, Shaoul Mofaz, l'actuel ministre de la Défense, qui dispose de solides réseaux, ou Tzipi Livni, la ministre de la Justice. Bibi avait quitté le gouvernement pour prendre la tête des rebelles du Likoud opposé au retrait de Gaza, gagnant ainsi la direction du Likoud sur un Arik bien décidé à créer Kadima. La disparition de Sharon offre un espace à ce faucon, qui pourra recentrer son discours tout en restant crédible sur les questions de sécurité.
Sharon ne sera pas plus regretté en terre arabe. Autant l'assassinat de Rabin avait été déploré par une partie au moins des Arabes qui saluaient ainsi son courage de chercher à conclure une vraie paix avec les voisins d'Israël, là où son prédécesseur, Itzhak Shamir, ne se cachait pas de vouloir faire « beaucoup de processus et peu de paix », autant Arik reste marqué du sceau des massacres des réfugiés palestiniens à Sabra et Chatila, en 1982 au Liban. Sa visite, en septembre 2000, sur l'Esplanade des mosquées à Jérusalem, qui a déclenché la seconde Intifada, reste aussi dans les mémoires. Ariel Sharon est également l'homme qui a mis en quarantaine et enfermé dans la Mouqataa de Ramallah feu Yasser Arafat, l'ancien président de l'Autorité palestinienne, et réussi à en faire un paria aux yeux de la seule puissance agissante au Proche-Orient : les Etats-Unis. Il est aussi pour eux l'artisan du « tout répressif ».
Mais le Premier ministre israélien en train de s'éteindre restera celui qui, malgré son intransigeance, a retiré l'armée et les colons de la bande de Gaza. Décision unilatérale parce qu'elle semblait conduire à un enfermement d'Israël sur elle-même, parec qu'elle semblait conduire à une rupture totale avec les Palestiniens, en totale contradiction avec la paix d'Oslo. Et, de fait, l'ensemble des pays arabes, à commencer par les Palestiniens, se demandent s'ils ne devront pas en payer le prix par une extension des colonies israéliennes en Cisjordanie et le renvoi aux calendes de la création d'un Etat palestinien.
La mort d'Arik pourrait le signifier durablement, surtout si Bibi l'emportait. Avec la disparition de ce vieux leader isralien, la seule démocratie du Proche-Orient gagnerait à ne pas affronter l'avenir avec de vieilles solutions, mais à procéder à un aggiornamento salutaire. Ce serait également la seule façon d'honorer la mémoire de ce viel Arik. En bon militaire, il a préparé la retraite du camp de la paix sur des positions préparées à l'avance : Kadima. Sa disparition prématurée change la donne.
«Ariel Sharon incarne au Moyen-Orient l'esprit du fait accompli et de la violence», note Chibli Mallat, un avocat libanais qui avait engagé des poursuites judiciaires en Belgique contre le dirigeant israélien au nom de 23 rescapés des massacres commis au Liban dans les camps palestiniens de Sabra et Chatila, en 1982. «En son absence, il faut s'attendre à un grand moment d'errance, il faudra du temps pour combler ce vide.»
Les quelques journaux arabes qui ont bouclé assez tard mercredi pour annoncer l'information de l'hospitalisation du premier ministre israélien, hier, reprenaient cette analyse, teintée d'une certaine inquiétude. L'état de santé d'Ariel Sharon « redistribue à nouveau les cartes politiques en Israël et dans la région », écrit ainsi le quotidien An Nahar. Les islamistes radicaux ne s'y sont pas trompés, qui espèrent déjà tirer profit de la sortie de scène de leur plus grand ennemi. Pour Ahmad Jibril, le chef du FPLP-CG, un groupe palestinien basé à Damas, l'accident de santé de Sharon est un « cadeau de Dieu ». Avec ou sans Sharon, la politique israélienne d'« assassinat des Palestiniens » et de « construction de colonies » continuera, affirment, en écho, les Frères musulmans d'Egypte.
L'importance de l'événement pour le monde arabe se mesure à l'aune de la couverture médiatique que lui consacrent les chaînes panarabes d'information en continu. La plus regardée, al-Jezira, a par exemple dédié plus de vingt minutes de son journal de la mi-journée à des directs et des analyses sur les scénarios possibles pour l'après-Sharon, évoquant notamment l'éventualité d'un gel des discussions avec les Palestiniens et un report du processus électoral dans les territoires occupés. Car, paradoxalement, celui qui a toujours été considéré comme le « faucon des faucons » avait réussi dernièrement à imposer l'image d'un homme converti au pragmatisme. « Malgré tous ses crimes, un Sharon vivant aurait été préférable pour les Palestiniens », estime ainsi un commentateur de la chaîne al-Arabiya.

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