2.2.06

Des caricatures de Mahomet enflamment les musulmans

Danemark La controverse se transforme en une véritable crise entre l'islam et l'Occident.
Pierre Prier (avec AFP)
[Le Figaro, 01 février 2006]

L'AFFAIRE des caricatures de Mahomet dans un journal danois menaçait hier d'embraser le monde arabe et musulman. Le Danemark, en première ligne, devait faire face à un boycott de ses produits, à des menaces contre ses ressortissants et à des convocations de ses ambassadeurs, tandis que dix-sept ministres de l'Intérieur arabes, réunis hier à Tunis, demandaient des sanctions difficilement applicables contre les auteurs. Mais la crise dépasse maintenant Copenhague et se mue en abcès de fixation des rancoeurs et des incompréhensions entre Orient et Occident.
Le monde islamique s'enflamme depuis la publication, il y vingt jours, d'une série de douze caricatures du Prophète par le magazine norvégien Magazinet. Ces dessins avaient pourtant été publiés une première fois en septembre 2005 dans le quotidien danois Jyllands-Posten, sans entraîner de réaction importante. Il a fallu cette deuxième parution pour que la colère islamique monte contre le journal danois, premier à publier les dessins. Les caricatures, au graphisme et à l'esprit vulgaires, montrent par exemple un Mahomet ricanant, une bombe dans son turban. Un blasphème pour l'islam, qui interdit toute représentation du Prophète. le sacrilège se double, selon les protestataires, d'un amalgame grossier entre religion et terrorisme, que la presse occidentale n'oserait pas appliquer aux fondateurs d'autres cultes.
A Tunis, le secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa, a accusé «la presse européenne» d'«observer deux poids et deux mesures», car elle «craint d'être accusée d'antisémitisme, mais invoque la liberté d'expression lorsqu'elle caricature l'islam». L'ambassadeur du Danemark en Iran a été convoqué pour répondre, selon Téhéran, d'«insultes qui ont blessé plus d'un milliard de musulmans». Le premier ministre danois, Anders Fogh Rasmussen, embarrassé, tentait hier de désamorcer la bombe sans remettre en cause les lois danoises. «J'ai personnellement un tel respect pour les croyances religieuses des gens que je n'aurais jamais pu représenter Mahomet, Jésus ou d'autres figures religieuses d'une manière pouvant être insultante pour d'autres», a-t-il déclaré, tout en soulignant que «les médias décident seuls quelles caricatures ils veulent publier».


Front diplomatique

Le ministre libanais des Affaires étrangères, Fawzi Salloukh, proche du Hezbollah chiite, avait occupé le premier ce terrain. Lundi, il avait demandé que l'Occident restreigne la liberté d'opinion pour tenir compte des «sentiments des musulmans, qui font désormais partie intégrante des sociétés occidentales». Le chef du gouvernement danois a contre-attaqué en tançant les chefs religieux de la communauté musulmane au Danemark, qu'il a accusés d'avoir «inspiré» les réactions, au cours d'une tournée récente au Proche-Orient. M. Rasmussen entend aussi combattre sur le front diplomatique. Le ministre des Affaires étrangères, Per Stig Moeller, devait rencontrer hier à Londres le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, après avoir eu des discussions avec la secrétaire d'État américaine Condoleezza Rice et plusieurs de ses homologues arabes présents à la conférence de Londres sur l'Afghanistan.
La diplomatie danoise aura du mal à apaiser une colère populaire grandissante utilisée par les politiques. A Gaza, des milliers de Palestiniens ont manifesté à l'appel du Djihad islamique devant le QG de l'ONU. Lundi, des dizaines d'hommes armés avaient tiré des coups de feu devant les bureaux de l'Union européenne. A Tel-Aviv, des Arabes israéliens, dont deux députés et des dirigeants du mouvement islamiste israélien, ont manifesté devant l'ambassade du Danemark.
Le rédacteur en chef du journal danois incriminé avait pourtant présenté ses excuses lundi. Le magazine norvégien, quant à lui, a exprimé ses «regrets». La presse des Émirats arabes unis, alliés de l'Occident, a voulu y voir une «victoire de la campagne de boycottage» des produits danois. Mais ce boycottage semblait toujours en vigueur hier dans d'autres pays, dont l'Arabie saoudite et le Koweït. Il risque de coûter cher notamment au groupe laitier dano-suédois Arla Foods, qui a vu ses ventes complètement paralysées. Et même de menacer par amalgame des grands groupes internationaux. Le Suisse Nestlé a pris les devants en achetant un encart publicitaire en première page du quotidien pan arabe Asharq al-Awsat. Il montre le sigle du lait en poudre Nido, marque phare de la société, avec la mention : «Ce n'est ni produit au Danemark, ni importé du Danemark.»

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