30.1.06

Les services de sécurité redoutent le Hamas

La Croix, 30-01-2006

Mohammed Dahlan, ancien responsable du contre-terrorisme dans la bande de Gaza, voit d’un mauvais œil l’arrivée prochaine au gouvernement du Hamas, dont il avait pourchassé nombre de responsables.
Depuis le triomphe du Hamas mercredi 25 janvier, la question du contrôle des services de sécurité palestiniens pléthoriques est l’un des dossiers brûlants de l’après-élections. Ceux-ci multiplient les manifestations dans la rue en signe de protestation contre la direction du Fatah, l’ex-parti au pouvoir, et de défiance contre le mouvement islamiste, nouveau champion des urnes.
À deux reprises, dimanche 29 et samedi 28 janvier, un groupe de policiers a momentanément investi le Parlement à Gaza. Dans les principales villes des Territoires occupés, des hommes en uniforme ont souvent participé aux défilés rageurs organisés par une faction du Fatah. Des accrochages avec des membres de la branche armée du Hamas ont fait neuf blessés durant le week-end dans la bande de Gaza, notamment à Khan Younes, la ville où a été élu Mohammed Dahlan, ancien patron de la Sécurité préventive, le service de contre-terrorisme, entre 1994 et 2002.
Selon la Constitution palestinienne, c’est en théorie le ministre de l’intérieur qui a la supervision de la dizaine de services de sécurité établis par feu Yasser Arafat, à l’exception des moukhabarrat, les renseignements, qui sont du ressort du président de l’Autorité. Si, comme on peut s’y attendre, le Hamas forme le prochain gouvernement, la logique voudrait donc que la presque totalité des 58 000 policiers palestiniens se retrouvent sous les ordres, sinon d’un dirigeant du mouvement islamique, du moins d’une personnalité qui en est proche.

Mettre en avant le titre de commandant des forces palestiniennes

Dans les faits cependant, il est probable que le président de l’Autorité, Mahmoud Abbas, cherchera à conserver la haute main sur ces organes en mettant en avant le titre de commandant en chef des forces palestiniennes que la Constitution lui reconnaît. Le fait que la totalité de ces chefs soient des responsables du Fatah, souvent puissants, devrait jouer en sa faveur.
Ceux-ci se sont d’ailleurs réunis samedi 28 janvier à la Moqataa, le quartier général de l’Autorité palestinienne, où Mahmoud Abbas les a sommés de n’obéir qu’à lui. Reste à savoir si le Hamas se satisfera de cette situation de fait ou s’il poussera ses pions dans le domaine sécuritaire comme Mahmoud Abbas avait tenté – en vain – de le faire en 2003, du temps ou il était le premier ministre de Yasser Arafat.
Cette crainte alimente en partie la vague d’agitation à laquelle prennent part des policiers. Nombre d’entre eux redoutent que le Hamas ne cherche à se venger de l’époque où ses membres étaient traqués, emprisonnés, voire torturés par les sbires d’Arafat et surtout de Mohammed Dahlan. Une rumeur lancée par des responsables islamistes et démentie par le ministère de l’intérieur, veut d’ailleurs que l’Autoritépalestinienne ait ordonné à ses policiers d’épurer leurs archives de tout document relatif aux activités du Hamas et d’ouvrir leurs râteliers d’armes aux activistes du Fatah.
Les simples soldats craignent aussi que l’avènement du Hamas n’accentue la crise financière qui frappe le régime palestinien et que les salaires du mois de janvier ne leur soient pas versés.

«Il nous a vendus»

Mais ce n’est pas tout. Dans le rassemblement houleux organisé samedi devant le domicile de Mahmoud Abbas, des agents en civil ne se contentaient pas d’appeler à la démission du comité central, l’organe suprême du Fatah. «Abbas traître», hurlait l’un d’eux. «Il nous a vendus», accusait un autre.
«Avec le Hamas, les affaires sont réglées, expliquait Soheil, un membre de la sécurité préventive. On va leur remettre les clés de l’Autorité et dans le cas où nos salaires ne sont pas versés, on ira frapper à la porte d’Ismail Haniyeh (l’un des chefs du Hamas, NDLR). Ce que l’on veut faire maintenant, c’est la révolution au Fatah. Abbas n’a plus d’importance pour nous. Les élections étaient une erreur depuis le début. Nous voulons nous débarrasser de toutes les têtes corrompues et reconstruire le parti depuis zéro».
Dans les territoires, de nombreux observateurs décèlent derrière ce discours et ces débordements l’ombre de Mohamed Dahlan. Le prestige de celui que les médias présentaient rituellement comme l’homme fort de la bande de Gaza a été mis à mal par la déroute du Fatah. «Le roi est nu», entend-on souvent. Certes, «Abou Fadi» comme l’appellent ses partisans, a réussi a se faire élire en distribuant des poignées de dollars tous azimuts. Mais tous ses acolytes, souvent issus de la sécurité préventive, comme Samir Mesharawi, à Gaza, ou Suleiman Abu Mutlak, à Khan Younes, ont été défaits.
À défaut du poste de premier ministre sur lequel il lorgnait, Mohamed Dahlan espère prendre la tête du Fatah et de l’opposition au Hamas pour sauvegarder son statut. Une ambition qui suppose d’écarter les vieux partisans d’Arafat et les hommes de Marwan Barghouti, l’ancien chef du Fatah en Cisjordanie actuellement emprisonné en Israël, qui ne rechigneraient pas forcément à siéger dans un gouvernement de coalition. Pour les familiers des intrigues de Gaza, l’agitation des derniers jours répond à cet impératif. Ce qui en fait un chaos artificiel, dangereux certes, mais qui peut s’arrêter aussi vite qu’il est apparu.

Benjamin BARTHE

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