6.3.06

« Le basculement dans le terrorisme relève de la dynamique de groupe»

Evénement

11 septembre. Marc Sageman, psychiatre, analyse le processus de radicalisation :
« Le basculement dans le terrorisme relève de la dynamique de groupe»

Par Pascal RICHE
Libération, lundi 06 mars 2006

Consultant américain d'origine française, Marc Sageman, 52 ans, est spécialiste du terrorisme. Psychiatre, sociologue, ancien de la CIA, il a formé des groupes de moudjahidin en Afghanistan dans les années 80. Il a publié le Vrai visage des terroristes (Ed. Denoël).

Très souvent, les familles et les amis des terroristes sont les premiers surpris de découvrir que ceux-ci ont mal tourné. C'est le cas de Moussaoui. Comment passe- t-on de «gentil jeune homme» à terroriste ?

Dans le cas de Moussaoui, on a assez peu d'informations. Cela s'est passé à Londres. Comme source, il existe le livre de son frère (1). Mais, à cette période, ils n'avaient pas de contacts. Ses amis de l'époque, comme Richard Reed ou les frères Courtailler (2), ne parlent pas beaucoup. A Londres, Moussaoui était seul, il est tombé dans un groupe de copains qui se sont radicalisés ensemble. Ce qui s'est passé entre eux correspond au schéma habituel : des étudiants, dépaysés, à l'étranger, se rencontrent et se radicalisent collectivement. Ils vivent mal leur décalage avec leur environnement, ils ont le sentiment d'être victimes d'une discrimination. L'idée qu'il existe une crise des valeurs résonne chez eux ; pour résoudre cette crise, ils se raccrochent à une utopie. Mais ils ne se radicalisent pas pour des raisons idéologiques : ils font ça «pour les copains». Cette dynamique, qu'on appelle dans le jargon extremity shift, on la retrouve dans beaucoup de groupes ayant basculé.

Mais Moussaoui avait alors plus une culture française que musulmane ou arabe...

Oui, pas besoin d'avoir de liens avec le Moyen-Orient. Parmi ses copains, il y avait même des convertis, comme les frères Courtailler ou Reed. Ce sont des gens déboussolés, qui cherchent une direction. Ensuite ils deviennent plus royalistes que le roi. C'est un processus courant dans les diasporas. A Washington, vous constatez vous-même que beaucoup de Français sont «plus français» que les Français de France. C'est un peu le même phénomène qui se produit...

Lorsque Moussaoui est parti en Afghanistan, c'est avec ses copains. Le basculement dans le terrorisme, ce n'est pas une histoire individuelle. Les journaux ont trop tendance à «décontextualiser» ces personnes. Il n'y a pas de lavage de cerveau: c'est une simple dynamique de groupe.

Est-ce qu'il ne faut pas, à un moment, qu'un imam intervienne, apporte sur un plateau «l'utopie» dont ont besoin ces déboussolés?

Il y a dix ans, c'était encore le cas. Moussaoui était dépaysé, il voulait rencontrer d'autres musulmans ­ bien qu'il n'avait alors aucune éducation religieuse. Il est naturellement allé vers les mosquées. C'est là qu'il a fait connaissance avec ses amis. Il a aussi croisé des gens comme Abou Hamza ou Abou Qatada (3). Mais aujourd'hui, plus besoin de «prêcheurs de haine» : l'Internet suffit à jouer ce rôle.

(1) Zacarias Moussaoui, mon frère, Abd Samad Moussaoui, avec Florence Bouquillat, Denoël, 2002. (2) Reed a été arrêté dans un avion transatlantique, alors qu'il essayait d'allumer un explosif caché dans sa chaussure. David et Jérôme Courtailler sont des Français convertis à l'islam. Le second est actuellement en prison aux Pays-Bas pour un complot visant à poser une bombe contre l'ambassade américaine à Paris. (3) Abou Hamza, l'imam de la mosquée de Finsbury Park à Londres, a été condamné à sept ans de prison le mois dernier. Abou Qatada, idéologue islamiste, surnommé l'«ambassadeur de Ben Laden», est lui aussi derrière les barreaux.

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