18.2.07

Une simple question de sémantique

Alors que l’ancien Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) a revendiqué la série d’attentats perpétrés le 13 février 2007, en Algérie, onze personnes suspectées d’être en liaison avec Al-Qaida ont été arrêtées le lendemain en France, que s’est ouvert, le lendemain, à Madrid, le procès des auteurs présumés des attentats du 11 mars 2004, enfin qu’une descente de la police française démantelait un « réseau » d’acheminement de volontaires français pour combattre la coalition en Irak, soupçonné d’être « en liaison avec Al-Qaida », avec l’interpellation de onze personnes à Toulouse, en Ariège et dans la région parisienne, l’émission « C dans l’air » (http://www.france5.fr/cdanslair/index.cfm), le magazine d’actualité quotidienne de France 5, diffusé en direct d’Yves Calvi, s’est penchait le 15 février sur le sujet, dans une émission intitulée « Al Qaida vote terroriste ».
Un des invité, Louis Caprioli, ancien directeur-adjoint de la Direction de la surveillance du territoire (DST), l’agence de contre-espionnage française, devenu conseiller spécial du groupe de sécurité Geos (http://www.geos.tm.fr/), a estimé que le terrorisme transcendait le vocabulaire. Les notions de « réseau », de « cellule », de « noyau » composaient les reflets de la même menace, une menace naturellement planétaire. Quelques minute plus tôt, le journaliste Mohamed Sifaoui, ce « musulman laïc et démocrate » (http://www.mohamed-sifaoui.com/), mais aussi « très entreprenant, instable et versatile » (http://www.algeria-watch.org/farticle/nezzar_souaidia/sifaoui_agent.htm), révélé en France notamment pour son reportage, devenu livre(L’affaire des caricatures, dessins et manipulations, Editions Privé, Paris 2006), sur la manipulation à laquelle les imams danois s’étaient livrés à propos des caricatures du Jylland Posten, parlait de la publicité que les mouvements terroristes maghrébins connaissaient au Pakistan. L’« Envoyé Spécial » de France 2, qui travaille en caméra cachée, (cf. ses « enquêtes » sur les mosquées de banlieues ou sur Tariq Ramadan, en 2004, sur les « émeutiers » de banlieues, en 2005) chassant les cellules d’Al Qaida à Paris (2003), au Pakistan (2003) et en Jordanie (2005) pour M6, n’en précisait pas moins que l’objectif du GSPC, loin de prôner le califat planétaire, ne souhaitait établir un Etat islamique qu’en Algérie… Enfin, Antoine Sfeir, le légendaire directeur des sérieux « Cahiers de l’Orient », (revue d'études et de réflexions sur le monde arabo-musulman), et président du Centre d’études et de réflexions sur le Proche-Orient, soulignait la forte responsabilité des médias, réagissant à l’urgence plutôt que ne cédant à l’explication.
C’est dire combien la sémantique est importante dans cette vaste opération d’information à laquelle nous nous confrontons depuis le 11 Septembre. Exemple : Caprioli évoque l’attentat du 10 décembre 2006 à une dizaine de kilomètres à l’ouest d’Alger, contre un bus transportant des employés, étrangers et algériens, d’une société algéro-américaine, qui a fait deux morts et de plusieurs blessés dont deux Américains, un Britannique, un Néerlandais et un Libanais. Revendiqué par le GSPC, il était un nouvel avatar du ralliement du groupe, annoncé le 11 septembre 2006 par Ayman Al-Zawahiri, au groupe Al Qaida. Mieux, selon Caprioli, il fallait voir dans cet attentat une conséquence directe du message de Zawahiri, qui avait promu le GSPC « l’os dans la gorge des croisés américains et français ». Le mode opératoire était aussi celui d’Al Qaida, filmé de bout en bout, une « roadside bomb » étant utilisée comme à Bagdad…alors qu’il s’agit du mode d’action privilégié de l’IRA provisoire… Mais Caprioli, qui un mois plus tôt disait à propos des menaces du GSPC contre « les ressortissants de France et les agents des croisés qui occupent notre terre », dans un message sur des sites islamistes, qu’il s’agissait « toujours un thème mobilisateur en Algérie », même si le GSPC « est incapable de perturber sérieusement » la vie quotidienne en Algérie, lâchait quand même une infirmation/information de ce qu’il avait dit précédemment : « ceux qui veulent intégrer le groupe », c’est-à-dire Al Qaida.
A aucun moment, il ne montre un lien de cause à effet directe entre Zawahiri, Al Qaida et la situation en Algérie. Alors quid du réseau, de la cellule, du réseau ? L’idéologue d’Al Qaida évoque l’idée de cellule, mais en rapprochement avec le communisme international. La menace est donc idéologique et planétaire, rendue possible par les technologies de l’information et de la communication, principalement Internet. L’idée de cellule laisse entendre qu’il existe des groupes de fanatiques attendant ce que Lénine qualifiait d’« opium du peuple », une message religieux. Dans cette optique, Al Qaida est le réseau qui assure la cohésion de ces cellules. Zawahiri n’est plus le responsable d’une posture dialectique, comme l’avaient été Khomeyni avant 1979, avec ses prêches sur cassettes audio alimentant la contrebande. Il devient le responsable de l’agitprop d’une conspiration mondiale, qui étend ses tentacules dans tous les pays, notamment du pourtour méditerranéen, prêt à frapper aveuglément, n’importe où, n’importe quand. Dans cette logique de Guerre froide, la menace idéologique devient maintenant réelle. Disséminées de part le monde, abritées au sein de communautés immigrées à la jeunesse en perte de repère, les cellules, dormantes jusque là, deviennent actives, attentives au commandement exclusif de Zawahiri.
A contrario, la notion de noyau est plus ambivalente. Parle-t-elle de la partie clandestine de la cellule, véritable groupe stay-behind, voué à l’action clandestine ? Ou ne renvoie-t-elle pas à un comportement médiatique plus réelle, et peut-être plus dangereux, car appartement au registre de l’imitation. Il utilise ces mêmes jeunes immigrés déscolarisés et déphasés dans une société occidentale individualiste à l’extrême, instrumentalisés par des discours utilisant un dogme religieux à destination de ces incultes, réfugiés dans le virtuel de leur jeu de guerre en ligne. Foin de stay-behind, comme dans les premiers jours de la guerre civile irakienne, mis en place par l’état-major de Saddam Hussein ! Point de menace planétaire ! Mais une multiplication de groupuscules combattant médiatiques… c’est-à-dire aussi virtuel que mus par le principe de l’imitation. C’est la grande leçon des attentats de Londres et de Madrid, dont on tait les conclusions des commissions d’enquête et les débats judiciaires. Ils sont terribles pour ceux qui croient encore à la menace d’Al Qaida comme ils ont cru à celle du Soviet.
Orphelins de la Guerre froide, nous cherchons à recréer virtuellement cet « équilibre de la Terreur », reposant sur une « dissuasion » apaisante, à partir de cette jeunesse sacrifiée par un discours intentionnellement universel, induisant une nouvelle gestuelle, comme le fait de filmer de bout en bout son action, au besoin en l’authentifiant d’un message « kamikaze ». Mais imitation ne fait jamais adhésion. Sinon combien de cow-boys de cours de récréation se seraient rendus coupables de l’extermination des Indiens d’Amérique ? Les moyens à leurs dispositions ont simplement changés… Et n’oublions pas que, dans les premiers de l’explosion terroriste algérienne, au temps du sanguinaire GIA, dont le GSPC n’est finalement qu’une émanation, était appelé « résistance » par les médias français…

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