7.6.07

La conquête inexorable de la Vieille Ville de Jérusalem par les colons israéliens se poursuit

Reportage

LE MONDE | 06.06.07 | 14h35 • Mis à jour le 06.06.07 | 17h53
JÉRUSALEM Benjamin Barthe

our Ismaïl Mohammed, un petit homme au front plissé par les soucis, l'Histoire n'en finit pas de bégayer. Ce retraité d'une agence de tourisme habite un trois-pièces voûté et décrépit en surplomb du mur des Lamentations et de l'esplanade des Mosquées. L'une de ces maisonnettes en escalier dont la Vieille Ville de Jérusalem a le secret, mi-grotte, mi-perchoir. "C'est là que je suis né et que je vis, avec ma femme, mes cinq enfants et ma soeur", dit-il.

A la mi-mai, comme chaque année depuis quarante ans, la famille observe depuis la courette les parades des juifs religieux venus célébrer la "réunification" de leur "capitale" aux cris de "Jérusalem est à nous !". Fixé cette année au 16 mai dans le calendrier hébraïque, l'anniversaire correspond au 7 juin du calendrier chrétien, date de la conquête, en 1967, de la partie orientale de la ville par les troupes israéliennes engagées dans la guerre des Six-Jours.

A cette occasion, symbole du début de l'occupation pour les Palestiniens, Ismaïl Mohammed se remémore toujours la destruction du quartier des Maghrébins, sur les ruines duquel fut aménagé l'actuel quartier juif. Plusieurs milliers de musulmans et de chrétiens furent chassés hors de la Vieille Ville, comme une réplique de l'expulsion de la communauté juive par la Légion arabe de Transjordanie en 1948. "Je me souviens toujours du bruit des pelleteuses, dit Ismaïl Mohammed. A la radio, Moshé Dayan (ministre de la défense de l'époque) disait qu'il voulait faire la paix et, sous mes yeux, les maisons de mes voisins étaient rasées."

Le souvenir est d'autant plus douloureux pour le vieil homme que, quarante ans plus tard, un sort similaire plane sur les siens. Il y a quelques mois, un appel de la police lui a annoncé que sa présence dans la maison était illégale dans la mesure où il l'avait vendue. Stupéfait, Ismaïl a couru au commissariat et reçu des mains de son chef un acte de vente signé prétendument de sa main, au bénéfice d'un autre Palestinien. Un faux, accuse-t-il, avec un collaborateur en guise d'homme de paille.

"Les organisations de colons comme Ateret Cohanim sont familières de ce genre de machinations, confirme Ziad Al-Hamouri, un avocat de Jérusalem. Elles tablent sur la complaisance de certains juges, sur les tours de passe-passe qu'autorise la loi des Absents (un texte de 1950 qui place sous la tutelle de l'Etat tous les biens dont les propriétaires ont fui durant la première guerre israélo-arabe en 1948) ou sur le fait que leurs victimes n'ont pas les moyens de supporter le coût d'une procédure judiciaire à rallonge."

"NOUS ACHETONS TOUT"

Avec sa pension de 1 600 shekels (300 euros) et les sept personnes placées sous sa charge, Ismaïl Mohammed sait déjà qu'il ne pourra pas tenir longtemps. "Les Israéliens veulent que Jérusalem soit unifiée, mais ils veulent surtout qu'elle ne soit peuplée que de juifs. La célébration de la victoire de 1967 équivaut à la célébration d'un vol. Jérusalem n'appartient pas aux Israéliens. Elle appartient aux trois religions. Celui qui refuse cette évidence pousse les peuples à la guerre."

Encouragée dans les années 1980 par Ariel Sharon, alors ministre des infrastructures, la silencieuse offensive des colons a fait passer sous leur coupe plusieurs dizaines de bâtiments dans les quartiers arabes de la Vieille Ville, où résident aujourd'hui près de 80 familles. Au début des années 1990, ces menées avaient été ralenties par la publication d'une enquête officielle, le rapport Klugman, qui révélait comment les agents d'Ateret Cohanim avaient empoché en douce plus de 8 millions de dollars d'argent public.

Mais d'après l'organisation israélienne La Paix maintenant, le passage d'Ariel Sharon au poste de premier ministre entre 2001 et 2005 a ranimé leur appétit. "Nous achetons, nous achetons partout, plastronne Arieh King, l'un de ces discrets limiers qui traquent tous les jours de nouvelles proies dans les ruelles du quartier musulman. Si j'avais de l'argent à volonté, je pourrais changer la démographie de la Vieille Ville en un clin d'oeil. L'objectif est d'empêcher la création d'un Etat palestinien avec Jérusalem pour capitale."

Abu Walid Dajani, un élégant sexagénaire à la fine moustache, connaît mieux que quiconque ce danger. L'hôtel Imperial qu'il gère sur la porte de Jaffa, l'entrée officielle de la Vieille Ville, pourrait tomber sous peu dans les rets des ultranationalistes. Le 18 mars 2005, la presse israélienne a révélé que, par l'entremise du trésorier véreux du patriarcat orthodoxe, propriétaire des lieux, Ateret Cohanim avait mis la main sur ce bâtiment chargé d'histoire, ainsi que sur le Petra, un hôtel voisin.

Depuis ce jour funeste, l'établissement fonctionne comme si rien ne s'était passé et Abu Walid attend : "Contrairement à ce que l'on a pu croire, il semble que la transaction ne soit pas complètement finalisée." Selon le quotidien Haaretz, les autorités israéliennes auraient engagé une discrète épreuve de force avec Théophilos, successeur du patriarche Irénéos, poussé à la démission par le scandale. S'il veut obtenir la reconnaissance de l'Etat juif, estampille indispensable à son pouvoir, il doit parapher l'acte de vente.

"La Vieille Ville, c'est désormais la loi de la jungle, soupire Abou Walid Dajani. L'occupation a tout pourri. Si dans un mois ou dans un an, les colons débarquent à la réception et me jettent dehors, c'en sera fini de Jérusalem."

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