7.6.07

Russie-Occident : l'inquiétant abîme psychologique

De notre envoyée spéciale à Moscou LAURE MANDEVILLE.
Le Figaro du 07 juin 2007

Formulée par Vladimir Poutine et propagée par les relais du pouvoir, une idéologie national-libérale- patriotique, aux accents antioccidentaux gagne du terrain en Russie.

TOUS les quarts d'heure, à l'angle de la représentation de l'Union européenne à Moscou, une cloche sonne. Elle est devenue le symbole de l'inquiétante guerre de propagande contre l'Occident, qui bat son plein en terre russe. C'est Andreï, un blondinet fluet de 24 ans, « commissaire à l'idéologie » du mouvement de jeunesse pro-Kremlin « Nachy » (« Les Nôtres »), qui est à la manoeuvre. « À Tallinn, au coeur de l'Union européenne, un prisonnier politique estonien de 17 ans, Mark Syrok, est détenu pour ses opinions ! » lance-t-il : « Mark a été mis en prison pour incitation à la haine nationale, c'est un mensonge ! Il a été arrêté parce qu'il est membre de notre organisation et nous sonnerons cette cloche jusqu'à sa libération. »

En bon élève des cours de propagande qui lui sont assénés lors de grands camps d'été organisés sur le lac Selider près de Tver, comme à l'époque des komsomols triomphants, Andreï se garde bien de donner la version estonienne de l'affaire. Selon Tallinn, le jeune Syrok est accusé d'avoir participé à l'organisation des troubles qui ont dégénéré en émeute à la fin avril, dans la capitale balte, après le déménagement d'une statue soviétique célébrant la victoire de l'Urss sur l'Allemagne nazie. Il aurait diffusé des SMS appelant à rejoindre les émeutiers moyennant finances. L'Estonie a depuis été soumise à des cyber-attaques massives contre ses administrations et ses banques à partir de sites russes et son ambassade à Moscou encerclée pendant des semaines par les « Nachy ». Mais Andreï n'est pas là pour se pencher sur ces « détails ».

Sa défense du « prisonnier de conscience » Mark Syrok a le même sens que l'interview donnée lundi par Poutine au Figaro, quand il ripostait aux questions sur l'absence de démocratie en Russie, en dénonçant la répression allemande des manifestations anti-G8 : démontrer que la Russie « n'a de leçons à recevoir de personne ».

« L'Occident utilise l'Estonie comme la Tchétchénie, pour nous discréditer mais nous allons nous battre pour que notre pays devienne une puissance globale », clame Andreï. Sur son tee-shirt, est imprimé le visage du cosmonaute Iouri Gagarine, icône de la période communiste. Ce n'est pas un hasard. Dans la vision du monde en blanc et noir d'Andreï, l'Ouest est redevenu un « concurrent », presque un ennemi, comme à l'époque de la compétition soviéto-américaine dans l'espace.

Théorie du complot

Au siège de l'organisation Nachy, même discours : Evgueni Ivanov, 27 ans, lui aussi « commissaire à l'idéologie », est « prêt à contrer la pseudo-révolution que les Américains mijotent ». « Qui aurait pu penser que l'Otan bombarderait la Serbie ? Pourtant c'est arrivé. Mais nous résisterons, nous ne voulons pas d'une démocratie imposée par les Américains, comme en Ukraine », lance-t-il, parlant de Gary Kasparov, leader du mouvement d'opposition L'Autre Russie, « comme d'un raté dont le peuple n'a que faire ».

Evgueni explique que « rien n'a changé depuis l'Empire romain, c'est la force qui prime ». « Les Américains pensent pouvoir vendre la marque démocratie comme du Coca-Cola ! Nous n'acceptons pas cette imposture. Quand les Occidentaux parlent de démocratie, ils ont en tête le pétrole et le gaz, en Russie comme en Irak », conclut-il.

Loin d'être exceptionnel, ce discours se propage à grande vitesse à Moscou, sous l'effet de médias télévisés relayant la propagande du Kremlin. La théorie du complot occidental gagne les esprits. « Pourquoi n'y aurait-il que des complots russes ? » lance hors de lui le rédacteur en chef des Nouvelles de Moscou, Vitali Tretiakov, lors d'une interview monologue sur la manière dont « l'Occident, depuis 1985, n'a cessé de trahir la Russie ». « Comment osez-vous parler du pacte Ribbentrop Molotov, vous qui avez bombardé le Kosovo et voulez l'enlever à la Serbie. Qu'attendez-vous de la Russie, qu'elle exécute vos ordres ? Jamais ! » En 1991, Vitali Tretiakov était rédacteur en chef du grand journal démocratique Nezavissimaïa Gazeta. Aujourd'hui, « déçu » par un monde occidental qui « se tait » sur la campagne américaine en Irak mais dénonce l'opération russe en Tchétchénie, il dénonce « deux poids deux mesures » et parle dans ses éditoriaux des Estoniens comme de « Pygmées » face « aux géants russes ».

Cette fureur qui remonte par vagues, n'est pas immédiatement perceptible vu l'opulence festive et débridée qui règne à Moscou. Terrasses bondées, salons de beauté qui ne désemplissent pas. Immeubles poussant comme des champignons. Yachts glissant sur les « lacs » de banlieue moscovite... Portée par l'envol des prix du pétrole, Moscou ressemble à une bulle de prospérité, plus occupée à consommer qu'à se battre avec l'Ouest.

Mais cette bulle, loin d'empêcher les paranoïas, les alimente. Grisés par la manne pétrolière, comme en état d'apesanteur après les chaotiques et humiliantes années eltsiniennes, les Russes, persuadés d'être redevenus une puissance, n'écoutent plus qu'eux-mêmes. N'ont-ils pas payé toutes leurs dettes, engagé la conquête des marchés étrangers ? « C'est l'euphorie », note Fedor Loukianov, de la revue Russia in Global Affairs.

En même temps que cette euphorie, « se développe une idéologie du marché agressive et cynique, liée à la nature du capitalisme russe, poursuit-il. Cette idéologie pense le monde comme un grand gâteau dont il faut arracher sa part sans foi ni loi. Poutine se voit en manager d'une Russie « corporation » dont il faut défendre les intérêts. Pour lui, le discours de l'Occident sur la démocratie est un écran de fumée ».

Persuadé que les journalistes occidentaux critiquent la Russie avec le noir dessein de l'affaiblir, le Kremlin s'emploie à contrer cette « propagande ». Le gouvernement russe a loué les services de conseillers occidentaux jusqu'à Bruxelles, pour améliorer son image. « Pour eux, il n'y a pas de principes démocratiques universels, ni de vérité avec un grand V, juste des techniques de propagande », note l'historien de la période communiste Nikita Petrov, inquiet du « révisionnisme historique et politique » qui émerge. En osant se présenter en « pur démocrate », à l'égal de Gandhi, Poutine exprime à la perfection ce nouveau relativisme politique.

Pression tardive

Pour les cercles pro-occidentaux de Moscou, cette mauvaise foi sert surtout à justifier le retour en force de l'autocratie. « En relativisant les valeurs de démocratie, le pouvoir russe désigne l'Occident à la vindicte populaire pour faire oublier qu'il a confisqué tous les pouvoirs », ajoute Petrov.

Pourtant, loin de comploter, l'Occident a tout fait pour apaiser la Russie, fermant les yeux sur le spectaculaire durcissement interne amorcé sous Eltsine, puis poussé au terme de sa logique sous Poutine. Il a fait mine de ne pas voir les crimes de Tchétchénie ni la montée de l'autoritarisme et l'écrasement des libertés. Pour finalement se réveiller sur la question du chantage gazier à l'Ukraine, parce qu'il touchait l'approvisionnement en gaz des foyers européens. Depuis, l'accumulation des différents - de l'expropriation partielle de Shell à Sakhaline à la déportation massive de Géorgiens de Moscou, en passant par l'assassinat d'Anna Politkovskaia, l'empoisonnement au polonium de l'ex-espion Alexandre Litvinenko ou les tensions russo-estoniennes, ont poussé les Occidentaux à formuler plus clairement leurs inquiétudes.

Exercée au moment où la Russie relevait la tête économiquement et psychologiquement, cette pression tardive n'a pas été comprise. « L'Occident met une pression injuste sur la Russie, tout n'y est pas si noir », proteste Efim Pivovar, recteur de l'université humanitaire, traduisant un avis dominant. « Les Russes ne veulent pas voir l'évidence et se retournent contre l'Occident car il est seul à lui tendre encore un miroir indépendant », en déduit un diplomate occidental. « C'est une réaction de défense », affirme l'analyste Stanislas Belkovski, un ex-proche de Poutine, qui a rompu avec lui.

Le ressort de cette « réaction de défense, « c'est le nationalisme russe, seul vrai acteur politique à exister à côté du pouvoir, avertit l'historien Iouri Afanassiev, ancienne grande figure du mouvement démocratique russe. Le Kremlin l'a fait entrer dans le jeu par instinct de survie, espérant ainsi détourner la colère du peuple de l'État arbitraire et criminel qui s'est solidifié en Russie... » « Les gens se sont persuadés qu'être patriote, c'est soutenir le pouvoir », se désole Igor Doloutski, un professeur d'histoire, dont le manuel a été interdit en 2004.

Ce nationalisme aux relents vaguement weimariens est présent ces jours-ci à la table de négociations du G8, dans l'ombre de Vladimir Poutine. Ajoutant à la rhétorique calculée du dirigeant du Kremlin, un aspect irrationnel inquiétant. Entre Russes et Occidentaux, c'est un abîme psychologique qui se creuse.

1 commentaire:

Unknown a dit…

Je ne vois pas de l'objectivité dans votre article. Vous citez la Tchechenie, la journaliste morte, l'agent mort. Or l'Europe est la premiere à profiter de cette guerre en Tchechenie car les oleoducs pour l'Europe sont protegées par des troupes russes, la journaliste s'est fait tué par les tchechenes et l'agent par son ami buisinessman du FSB d'apres les annonces officielles du Scotland Yard. Vous avez déjà vu des agents des services secrets devenir millionnaires, comme ca de nul part? Vous n'etes jamais allés en Russie ? Vous ne savez pas ce que c'est la mafia? Arretez de parler des meurtres politiques en Russie y a d'autres problemes plus important que surveiller des milliers de journalistes.

Avant de parler de propagande en Russie, remettez vous en question sur quelle genre de propagande postez vous....

En ce qui concerne le discours russe soit disant anti occidental...La Russie est dans son coin et se developpe comme elle peut et ne fait rien d'hostile. Or il faut des polonais pour s'opposer à l'entrée de la Russie dans l'OMC, l'Estonie non contente d'etre liberé par les russes et à qui manque visiblement Hitler et ses chambres à gaz. Ca m'aurait etonné que les americains aurait risqué des millions de soldats pour aller jusqu'en Estonie. Faut aussi cette REpublique Tcheque avec ses radars americains. La Russie a trop supporté des petits coups par ci par là et elle se reveille.

Le probleme ce que l'europe n'est ps en position de force car il depend energetiquement de la Russie et du Maghreb. Or le Maghreb est meilleur partenaire de la Russie que de l'Europe. Faudrait peut etre se reveiller ici et voir les choses en face. La Russie tient tout le monde par les c*****