10.7.07

Le contrôle du renseignement : longue marche ou révolution culturelle ?

Par Philippe Hayez, enseignant à Sciences Po Paris.
Publié le 07 juillet 2007

L'Assemblée nationale examine ces jours-ci le projet de loi visant à instituer une « délégation parlementaire au renseignement », mettant un terme à l'exception qui faisait de notre pays l'un des très rares États occidentaux dépourvus d'un tel mécanisme de contrôle.

L'esprit d'un contrôle des services est difficile à définir a priori. Il doit viser dabord la supervision (oversight) de l'activité de ces administrations très particulières, pour prévenir toute tentation de détournement des moyens spéciaux qui leur sont conférés. Il doit rechercher, ensuite, une transparence relative (accountability) de la part d'agences dont le secret marque l'action mais qui doivent apprendre elles aussi à rendre des comptes.

À cet égard, le contrôle parlementaire constitue un instrument important mais pas unique : les services doivent avant tout être soumis au pilotage vigilant de l'exécutif et encadrés par des mécanismes appropriés de contrôle juridique et financier. En France, la supervision par l'exécutif demeure très informelle pour de médiocres raisons politico-culturelles.

On peut espérer que le futur Conseil de sécurité nationale apportera une réponse permettant d'améliorer l'efficacité et la sécurité des opérations des services. Les dispositifs ad hoc existants pour le contrôle de leurs fonds spéciaux ou de leurs interceptions de sécurité devront quant à eux être ajustés à l'existence de la nouvelle délégation parlementaire.

Si chacun semble s'accorder sur la nécessité d'une approche prudente, quelques questions doivent être tranchées par le législateur :

- la communauté soumise au contrôle sera-t-elle restreinte aux services relevant des ministères de la Défense et de l'Intérieur ou bien comprendra-t-elle les services du ministère des Finances (Direction nationale de la recherche et des enquêtes douanières, Tracfin), qui luttent contre les menaces communes du terrorisme et du crime organisé ?

- la délégation bornera-t-elle son regard à l'« activité générale et l'organisation des services » ou bien pourra-t-elle s'intéresser aux programmes, dont l'importance technologique et financière va croissant, et aux opérations, bien ou mal, achevées des services. On comprend les réserves sur ce deuxième point mais l'expérience montre qu'une trop grande timidité dans ce domaine risque de laisser le champ libre à des missions d'information improvisées ou aux investigations de presse ;

- les moyens, comptés, de la délégation seront-ils suffisants pour faire du principe du contrôle une réalité ? Il serait notamment souhaitable que le président de l'instance dispose d'un mandat d'une durée suffisante et d'une équipe de collaborateurs qualifiés.

La mise aux normes de l'appareil français, autorisée par sa maturité récemment acquise, permet d'entrevoir de nouvelles perspectives.



Elle offre opportunément une occasion de débat qu'il ne serait pas raisonnable d'éluder. L'Europe bruit ces jours-ci de polémiques sur les activités de renseignement antiterroriste en Italie ou en Europe orientale. L'importance des enjeux de sécurité contemporains, le rôle que les services ont à y jouer, la nature des règles que ceux-ci doivent respecter dans un État de droit sont des sujets qui ne peuvent pas être laissés à la seule initiative des juges ou des journalistes, et même, du Parlement européen ou de l'Assemblée du Conseil de l'Europe, tant ils touchent à la souveraineté des États.

L'exception française ne porte pas en réalité seulement sur le contrôle parlementaire mais sur le statut des services de renseignement. La France demeure un des rares pays où la loi n'a pas encadré le statut et l'activité de ces agences. La délégation parlementaire pourra mesurer tout l'intérêt d'une telle disposition pour consolider l'organisation, rationaliser les moyens et accorder aux 15 000 personnels des services la protection juridique qu'ils sont en droit d'attendre.

Chacun doit souhaiter que la communauté nationale de renseignement soit efficace et respectueuse des normes démocratiques. Mais l'enjeu à court terme du renseignement français est européen. Les menaces, les infrastructures, les opinions convergent sur ce plan.

Pour dresser un bilan des acquis et dessiner les perspectives qui s'imposent, l'attention mieux informée et plus exigeante des responsables publics doit être prise comme une chance pour les services. Elle laisse espérer aux citoyens de notre pays que le temps perdu ne l'aura pas été en vain.

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