3.11.07

Quand l'armée s'exerce dans les favelas de Rio de Janeiro

Rio de Janeiro LAMIA OUALALOU.
Publié dans Le Figaro, le 03 novembre 2007

Les soldats brésiliens se préparent pour leur prochaine mission de paix en Haïti.

LA PETITE TROUPE, massée à l'entrée du bidonville retient son souffle. Les casques, bleus aux couleurs de l'Organisation des Nations unies (ONU) enfoncés sur le crâne, les soldats, harnachés d'équipement de guerre regardent avec appréhension les ruelles qu'ils vont investir dans quelques minutes. Le petit drapeau cousu sur leur bras gauche indique qu'ils sont Brésiliens. Ils font partie de la mission de paix en Haïti, la « Minustah », commandée par le Brésil. Des habitants de la cité du Soleil, le principal bidonville de Port-au-Prince leur ont signalé des tirs il y a une heure. Ils doivent trouver le responsable.

Dans le bidonville, la progression est pénible. Les chemins, construits à flanc de collines sont en dénivelé, et les impasses sont nombreuses. Obtenir l'aide de la population est compliqué : les soldats brésiliens ne connaissent que des bribes de français et de créole. À l'issue de deux heures de course, le sergent Joao ordonne la retraite. « Négatif, nous n'avons pas réussi à appréhender le suspect », indique-t-il dans son talkie-walkie grésillant. Encore essoufflé, il lève la tête, puis esquisse un sourire : il vient d'apercevoir la statue du Christ rédempteur, la colline du Pao de Açucar, et l'eau cristalline de la baie. Il avait presque oublié qu'il était encore à Rio de Janeiro.

La course-poursuite n'était qu'un entraînement, mais il est inédit. « Pour la première fois, c'est dans une vraie favela, qui ressemble à ce qu'ils trouveront sur place », explique le major Lamas. Le Centre d'instruction d'opérations de paix (Cip-op-Paz) a convaincu la communauté de Tavares Bastos d'accueillir une partie des 1 000 soldats du 8e contingent brésilien, avant leur départ pour Haïti.

« Avancer au milieu d'innocents »

Dans la favela, d'autres militaires jouent aux ennemis. Certains sont armés et attaquent les Casques bleus, d'autres sont des informateurs. Impossible, à leur accoutrement de les distinguer de la population locale. « C'est exactement comme dans la cité du Soleil. Ils doivent avancer au milieu d'innocents, apprendre à les interroger sans les maltraiter, en sachant que s'ils baissent la garde, ils peuvent être attaqués », poursuit le major Lamas. L'uniforme des soldats est équipé de dispositifs électroniques qui enregistrent l'impact des balles fictives tirées par l'ennemi. Un ordinateur calcule la gravité de l'incident : blessure superficielle, importante, mort certaine.

Derrière les troupes, court le sergent Elpidio, chef des observateurs. Postés à tous les coins de la favela, ces officiers revenus d'Haïti analysent les actions de la troupe, pour les corriger. « Regarde sur ta droite, c'est l'entrée d'une cave ! », hurle Elpidio à l'un, avant d'apostropher le chef de la troupe : « qu'est ce que tu attends ? L'ordre du commandant ? Ta radio ne marche pas, cela arrivera toujours en Haïti ! »

Un enfant assiste à l'échange, terrorisé par les uniformes et les fusils. Le sergent se veut rassurant et lui passe la main dans les cheveux. Les relations avec les civils sont au coeur de la formation, et pour cela, les Brésiliens ont un avantage, le football. Ronaldo, Ronaldinho et Pelé sont des dieux en Haïti. Pour le Major Lamas, « la différence entre les Brésiliens et les Américains, c'est que nous voulons tisser une relation avec la population, eux, ils foncent dans le tas ». L'exigence n'est pas seulement stratégique, elle est politique. Les soldats savent qu'une bavure peut être fatale, alors qu'une partie des Haïtiens est prompte à voir dans cette mission une occupation militaire diligentée par ceux qui ont renversé Jean-Bertrand Aristide, il y a trois ans.

En commandant la mission de paix en Haïti, le Brésil veut éviter la propagation des tensions dans la région. Mais il tient surtout à démontrer son professionnalisme et sa capacité à faire partie de la cour des grands au sein de l'ONU. Le président Luiz Inacio Lula da Silva estime qu'obtenir le retour au calme dans ce pays déchiré par les conflits serait un argument de poids pour la revendication d'un siège permanent au Conseil de Sécurité. « C'est également capital pour notre armée, comme nous sommes un pays pacifique, nos soldats n'ont que des entraînements théoriques, là-bas, c'est la vraie guerre », signale le Major Lamas.

De tempérament nationaliste, les Brésiliens sont fiers de voir leurs troupes reconnues à l'étranger. Mais beaucoup se demandent pourquoi l'État brésilien parvient à ramener le calme à Port-au-Prince, alors que chaque année, 35 000 personnes sont tuées par balles dans leur pays, un chiffre digne d'un pays en guerre.

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