Propos recueillis à New York par Jean-Louis Turlin (Le Figaro)
02/05/2008 | Mise à jour : 21:30 |
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Jean-Marie Guéhenno, qui a dirigé les Casques bleus ces huit dernières années, fait le bilan de son action pour «Le Figaro».
Chef du département des opérations de maintien de la paix, le plus lourd des Nations unies avec plus de cent mille personnes sous ses ordres, Jean-Marie Guéhenno laissera en juillet les opérations de maintien de la paix à son successeur, vraisemblablement un autre Français.
LE FIGARO. Le département que vous dirigez n'est plus celui dont vous avez hérité en 2000, qui comptait « seulement » quelques dizaines de milliers de personnes…
Jean-Marie GUÉHENNO. Nous avons désormais vingt missions et 110 000 personnes à gérer. Nous en aurons 130 000 quand nous aurons déployé tout le monde. C'est à peu près le double des déploiements de l'Otan, avec un quartier général qui est en gros de mille personnes, si l'on combine le département de l'appui aux missions et le département des opérations de maintien de la paix. Les différents quartiers généraux de l'Otan représentent environ 15 000 personnes. Je ne suis pas de ceux qui pensent qu'il faudrait que nous soyons multipliés par 15 ou 30. Je pense qu'il faut des structures légères, qu'il faut décentraliser. Notre chaîne de commandement ONU a des avantages mais elle est trop légère car on n'a pas de redondance, donc en situation de crise, on n'a pas de capacité d'accélération.
Avec la création de la branche d'appui aux missions, votre département a été scindé en deux.
Il reste néanmoins une vraie unité, car il est essentiel que ceux qui définissent la stratégie travaillent en relation étroite avec ceux qui vont assurer le soutien. L'intendance doit être développée en parallèle. La vision que certaines organisations, comme l'Union européenne ou l'Otan, ont d'une chaîne de commandement militaire ou d'une chaîne de commandement politique qui ne se réconcilient qu'au niveau stratégique, à des milliers de kilomètres du théâtre des opérations, n'est pas opérationnelle. On n'aurait pas fait les progrès qu'on a faits si on avait eu une chaîne de commandement où le représentant spécial au Congo ou en Haïti n'avait pas toutes les manettes sous la main.
Attend-on trop du maintien de la paix aujourd'hui ?
Après les échecs et les tragédies des années 1990, la confiance dans le maintien de la paix a été en partie restaurée. Le danger, c'est que, du coup, on demande trop au maintien de la paix, dans des situations où les conditions minimales ne sont pas réunies. Il y aura toujours des saboteurs. Il faut une masse critique, une fondation politique solide. Le danger, c'est qu'on oublie le cadre politique qui est le fondement de tout succès dans une opération de maintien de la paix. Autre menace : le décalage entre des mandats de plus en plus ambitieux et un soutien politique de plus en plus incertain. Les Nations unies sont le plus efficaces dans ces situations où il n'y a pas de clash des intérêts stratégiques des grandes puissances, mais suffisamment d'intérêt de leur part pour qu'elles nous donnent quand même un peu de carburant politique, comme en République démocratique du Congo, comme au Liberia, en Sierra Leone, en Haïti. Sur le Kosovo, l'Afghanistan, le Soudan, c'est beaucoup plus difficile. Y a-t-il une vraie unité de vues de la communauté internationale ? Au Kosovo, visiblement pas. Dans les deux autres, elle est à construire. Troisième menace : c'est le décalage entre les ambitions et les ressources matérielles. On a des armées qui se sont réformées après la guerre froide pour des combats de haute intensité et de brève durée, et le maintien de la paix, ça suppose de la présence. Cela ne se fait pas uniquement avec des drones et de la haute technologie.
Et ce sont souvent les mêmes qui contribuent…
C'est vrai que les Européens sont revenus aux opérations de maintien de la paix avec le Liban, c'est une bonne chose, mais on voit peu d'Européens sous Casque bleu en Afrique. Ce serait très mauvais qu'il y ait une sorte de maintien de la paix à plusieurs vitesses, où les Européens ne s'engagent que dans des situations d'un intérêt stratégique direct pour eux. L'Afrique a besoin de la solidarité du reste du monde. Il ne serait pas sain que les Européens n'agissent qu'entre eux.
Au Darfour, c'est le Soudan qui ne veut pas des Européens.
Le Soudan est un cas atypique. Il y a tout un arrière-plan politique où les polarisations, les méfiances qui rendent si difficile la gestion des problèmes du Proche-Orient, sont en train de pénétrer en Afrique par la Corne et ça, c'est très grave pour la résolution des conflits africains.
La force hybride au Darfour est-elle une formule d'avenir ?
Si le fait de mettre plusieurs organisations ensemble permet de mobiliser davantage de ressources, pourquoi pas, mais je crains malheureusement que ce ne soit en l'occurrence une réponse tactique à une situation particulière. Je ne pense pas que ce soit une formule d'avenir.
Peut-on envisager une armée permanente de Casques bleus ?
C'est une idée qui a été évoquée, mais que je ne soutiens pas, non seulement parce que les esprits ne sont pas mûrs pour une telle idée, mais aussi parce que sur le plan politique, la force de l'ONU vient de l'engagement de ses États membres. Une armée séparée créerait cette illusion très destructrice qu'il y a les États membres et l'ONU. Or l'ONU, c'est les États membres. Il faut qu'il y ait ce sentiment de responsabilité partagée entre les États et l'Organisation.
2.5.08
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