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L'emprise du Hezbollah s'organise à Beyrouth

Le Figaro, De notre envoyé spécial à Beyrouth Pierre Prier
12/05/2008 | Mise à jour : 08:57

L'armée libanaise a pris position dans la capitale, mais de nouveaux combats ont éclaté dimanche à Tripoli (Nord) ainsi que dans les régions druzes proches de Beyrouth.

Beyrouth a retrouvé dimanche sa géographie de guerre. Venant de l'Ouest, le secteur musulman, le taxi s'arrête soudain. Impossible de passer en voiture à l'Est, chrétien. Des hommes en pantalon et tee-shirts noirs, casquette de base-ball noire, bloquent la place Bechara-el-Khoury, transformée en no man's land. Ce vaste carrefour distribue le trafic entre les secteurs chrétiens et musulmans, ainsi que vers l'aéroport dans le sud de la capitale, au cœur du fief du Hezbollah. Dimanche, en milieu de journée, le rond-point est brusquement fermé à la circulation par les hommes en noir, sans armes autres que leurs radios portables. Des drapeaux du Hezbollah et de son alliée la milice Amal ont été accrochés aux poteaux de téléphone. Un camion benne décharge des monceaux de terre. Le quartier Sodeco, de l'autre côté, n'est plus accessible qu'à pied. Au temps de la guerre civile de 1975-1990, la «ligne verte» qui coupait Beyrouth en deux passait là. Elle est en train de renaître.

Les hommes en noir refusent de s'exprimer, mais appellent un habitant du quartier. Ce sympathisant du mouvement Amal, qui préfère rester anonyme, commente volontiers l'action : «Ce sont des hommes d'Amal et du Hezbollah. Ils vont bloquer tout Beyrouth, jusqu'à ce que le premier ministre, Fouad Siniora, démissionne.» Les hommes en noir laissent passer le reporter du Figaro. Côté chrétien, on rejoint un barrage tenu par des soldats débonnaires qui assistent à la scène en spectateurs.

Campagne de «désobéissance civile»

Depuis dimanche, l'armée libanaise est pourtant censée avoir repris le contrôle de Beyrouth, en vertu du marché passé entre le gouvernement et l'opposition armée. Le premier ministre, Fouad Siniora, a lâché du lest en chargeant le commandant en chef de l'armée de résoudre les deux problèmes qui avaient mis le feu aux poudres, le limogeage du directeur de la sécurité de l'aéroport et la mise hors la loi du réseau téléphonique privé du Hezbollah. Le général Michel Souleimane a promptement suspendu l'éviction du directeur, et confié une enquête sur les lignes du Hezbollah au service des transmissions de l'armée, qui prendra son temps.

En échange, le Hezbollah et son allié Amal devaient évacuer les quartiers Ouest, conquis en 48 heures de combat. Mais les chiites, appuyés par le Courant patriotique libre du général chrétien Michel Aoun, n'ont pas renoncé à recueillir les dividendes de leur victoire militaire. Ils ont lancé une campagne de «désobéissance civile» visant à faire tomber le gouvernement. Les barrages érigés dimanche dans Beyrouth en sont le fer de lance. D'autres routes restaient fermées, dont celle de l'aéroport.

Il est difficile de faire la différence entre les hommes en noir et les miliciens qui sont supposés avoir quitté Beyrouth-Ouest. Quant aux armes, ont-elles vraiment quitté la zone ? Certes, la présence militaire est forte. Mais, assurent les habitants, les miliciens sont restés un peu partout, et leurs armes ne sont pas loin. Elles pèsent toujours sur la ville. À Kantari, devant le siège de la télévision d'information continue Future TV News, un bâtiment à l'architecture postmoderne mêlant pierres et métal couleur rouille, les militaires contrôlent les passants. Mais les journalistes de cette télévision réduite au silence, appartenant au chef de la majorité Saad Hariri, n'oublient pas que c'est un officier de l'armée régulière qui leur a transmis, au début des affrontements, l'ordre d'Amal de fermer l'antenne. Quelques minutes plus tard, un milicien venait sous la menace arracher les câbles de transmissions.

Retour à l'ordre en trompe-l'œil

Les journalistes savent bien qui règne à Beyrouth-Ouest. Dimanche, ils n'osaient toujours pas utiliser leur studio de métal et de verre. «Si nous le réparions, ce serait perçu comme une provocation, et personne ne nous protégerait», dit Roland Barbar, un des dirigeants de la chaîne. Samedi, les collaborateurs de la télévision ont fait un sit-in à l'intérieur de leurs locaux. «Des miliciens sont revenus et nous ont dit qu'ils brûleraient tout si nous continuions», raconte Wafed, la présentatrice du journal en français. Les journalistes se réunissent sur le parking, d'où ils émettront deux heures par jour grâce à un camion de transmission prêté par leur consœur libanaise LBC.

Ce retour à l'ordre en trompe-l'œil n'a pas fonctionné partout au Liban. À Tripoli, la grande ville du Nord, de violents combats ont continué dimanche entre sunnites et alaouites, une minorité liée aux chiites. Ces accrochages tenaient du règlement de comptes entre deux groupes qui s'affrontent régulièrement. Mais le délitement politique les a encouragés à passer à la vitesse supérieure, un processus qui rappelle, là encore, celui de la guerre civile. Les combats ont déjà fait 42 morts en cinq jours.

Même dérive inquiétante dans la montagne druze du Chouf, où le Hezbollah, qui ne s'était jamais battu dans cette région difficile, a lancé une offensive pour venger la mort de trois de ses combattants, enlevés par les hommes du chef druze Walid Joumblatt. Les Druzes, qui ne représentent que 4 % des Libanais, ont fait front commun : les miliciens de deux petits partis liés à l'opposition ont changé de camp pour se battre aux côtés des hommes de Joumblatt, ministre de la majorité. Le réflexe communautaire prime. Un mauvais signe pour le Liban.

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