Caroline de Malet
Le Figaro, 15/05/2008 | Mise à jour : 00:24 |
Jamais l'atmosphère n'a connu de concentration en CO2 comparable à aujourd'hui.
De toutes petites bulles d'air. Piégées dans les glaces de l'Antarctique depuis 800 000 ans, ce sont elles qui, une fois prélevées dans les carottes extraites jusqu'à 3 260 mètres de profondeur, sont les témoins du passé de notre planète. Elles qui, depuis l'intuition géniale du glaciologue Claude Lorius en 1984, permettent de remonter le temps en établissant une corrélation étroite entre la concentration en gaz à effet de serre et les températures enregistrées en Antarctique. Accréditant ainsi l'idée que le réchauffement est imputable aux activités humaines.
Depuis vingt ans, les scientifiques n'ont cessé de vérifier cette hypothèse sur des périodes de plus en plus longues. En forant toujours plus profond, dans le cadre du programme européen Epica : mille, deux mille, plus de trois mille mètres. Aujourd'hui, deux équipes internationales de chercheurs, en grande partie français, publient dans la revue Nature les derniers résultats de ces analyses sur 800 000 ans, consacrés respectivement au CO2 et au méthane. Jamais les paléoclimatologues n'avaient remonté aussi loin dans le temps. Si l'analyse du dioxyde de carbone repose toujours sur des prélèvements issus de deux sites de l'Antarctique (la base russe de Vostok pour les glaces datant d'aujourd'hui à 420 000 ans et le site franco-italien de forage de Dôme C pour les carottes datant de 650 000 à 800 000 ans), celle du méthane a été effectuée sur une même carotte issue de Dôme C, avec un point de mesure tous les mètres (soit tous les 380 ans).
Le résultat de ce travail de titan mené depuis 20 ans confirme de nombreuses hypothèses, mais apporte également son lot de surprises. Au rang des confirmations, les scientifiques ont mis en évidence neuf cycles climatiques d'alternance entre ères glaciaires et interglaciaires (plus chaudes). Soit un de plus qu'il y a quelques années, où l'on en avait identifié seulement huit. Autre conclusion majeure : jamais, au cours de cette longue période de plusieurs centaines de milliers d'années, n'a été relevée une concentration en CO2 aussi élevée qu'aujourd'hui.
«Avec 800 000 ans d'archives, les chances de passer à côté d'un pic comparable à celui que nous connaissons actuellement sont de plus en plus minimes», estime Jérôme Chappelaz, directeur adjoint du laboratoire de géologie et de glaciologie de l'environnement (LGGE) de Grenoble et coauteur des travaux consacrés au méthane.
L'épisode chaud le plus marquant identifié sur la période remonte à 320 000 ans. La teneur en CO2 était alors de 320 parties par million (ppm) contre plus de 380 actuellement et la concentration en méthane de 780 ppm (contre 1 800 aujourd'hui). Il faisait alors 3 à 5 degrés de plus qu'aujourd'hui au pôle Sud. Mais, explique Jérôme Chappelaz, «à la différence de la période récente, où cette évolution est intervenue en 150 ans, lors de cet épisode précédent, elle s'est déroulée sur plusieurs milliers d'années, ce qui a donc laissé le temps au climat de se stabiliser».
Variations rapides
Parmi la moisson d'enseignements livrée par ces travaux, «nous avons trouvé les teneurs les plus basses en CO2 jamais enregistrées il y a 667 000 ans», annonce Dominique Raynaud, ancien directeur du LGGE et coauteur de l'étude consacrée au CO2.
L'atmosphère connaissait alors une concentration en dioxyde de carbone de 172 ppm, contre plus de 380 ppm aujourd'hui. «Un niveau qui s'explique peut-être par le rôle de captage du CO 2 par les océans, qui a pu être plus efficace qu'aujourd'hui à certaines périodes», estime Dominique Raynaud.
L'étude consacrée au méthane montre, elle, qu'avec le temps l'accroissement de l'intensité des moussons en Asie du Sud-Est va de pair avec la hausse de la teneur en méthane dans l'atmosphère. Une observation nouvelle qui s'explique en partie par le rôle joué par l'humidité, l'enneigement des plateaux tibétains et l'ensoleillement.
Dernier apport de ces travaux : les variations climatiques rapides observées dans chacune des glaciations ne s'expliquent ni par la durée des glaciations ni par leur intensité. Les chercheurs en ont même remarqué lors de la glaciation survenue il y a 770 000 ans. En fait, ces épisodes revêtent un caractère systématique. «C'est surprenant, car on s'attendait à ce que celles-ci dépendent du volume des calottes de glace dans l'Atlantique Nord ; or ce n'est pas le cas», ne cache pas Jérôme Chappelaz.
De quoi remettre en cause l'idée, répandue, selon laquelle la circulation thermohaline pourrait se ralentir en période chaude, ce qui pourrait avoir pour effet un refroidissement de l'Europe. Rien de tel n'a été observé par le passé. Un véritable pavé dans la mare, qui ne va pas manquer de faire des remous.
15.5.08
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