10.5.08

L'ouest de Beyrouth aux mains du Hezbollah

Le Figaro, envoyé spécial à Beyrouth, Pierre Prier
09/05/2008 | Mise à jour : 21:59 |

«C'est un coup d'État», affirme Marwan Hamadé. Comme nombre de responsables du gouvernement, le ministre des Télécommunications a pris un profil bas. «Je ne peux pas vous voir maintenant. On est planqués», dit au téléphone cet homme politique respecté, numéro deux du Parti socialiste populaire (PSP) du Druze Walid Joumblatt. Hier en fin d'après-midi, les affrontements étaient presque terminés, malgré quelques échanges de tirs sporadiques. Il n'a fallu que 48 heures pour que le sort des armes désigne le vainqueur. L'ouest de Beyrouth, sa partie musulmane, est aux mains des miliciens chiites.

Le conflit s'est déroulé exclusivement à l'ouest, tandis que l'est chrétien continuait à vivre normalement. La déroute sunnite est complète. Les bureaux du Mouvement du futur ont été évacués, ainsi que ses médias. La partie de la rue Hamra qui mène au siège de Future TV, appartenant à Saad Hariri, est bloquée par l'armée. Les militaires quadrillent l'ouest mais ne s'impliquent pas, l'état-major ayant trop peur de voir l'armée éclater en factions confessionnelles. Les soldats jouent un rôle d'arbitre, réceptionnant les vaincus et les mettant en sécurité. Après avoir pris les bureaux du Parti du futur, les miliciens chiites ont remis leurs prisonniers aux soldats.

Des miliciens à bandeau rouge

Qui sont les vainqueurs ? Dans les rues, on voit surtout les militants d'Amal. Ces chiites laïques sont ici plus chez eux que leurs alliés du Hezbollah, implantés dans leur fief de la banlieue sud. Le parti d'Hassan Nasrallah hésite à engager son armée privée, destinée selon lui à combattre Israël. Mais les conseillers et la logistique du Hezbollah semblent bien présents.

Le temps est déjà venu de récolter les dividendes politiques. Ali Hamdan, proche conseiller du leader d'Amal Nabih Berri, ne le cache pas. «Tout est politique de A à Z», répond cet homme en costume de bonne coupe, le premier responsable de haut niveau du parti vainqueur à s'exprimer publiquement. Le chemin qui mène jusqu'à lui illustre la nouvelle donne beyrouthine. Passé la limite invisible entre l'est et l'ouest, les rues se vident soudainement. Dans le quartier Clemenceau, une voie barrée mène à la résidence de Walid Joumblatt, dénoncé par Nasrallah comme le principal instigateur de l'offensive anti-Hezbollah. De jeunes miliciens druzes à bandeau rouge se tiennent aux côtés des soldats. Mais leur chef n'est plus chez lui. Walid Joumblatt a été évacué ce matin par l'armée, qui jugeait l'ouest trop dangereux pour lui. À l'approche du quartier d'Aïn el-Tiné, ce sont les miliciens d'Amal qui contrôlent les carrefours, aux côtés de policiers en treillis bleu camouflés. La résidence officielle du président du Parlement et leader d'Amal, Nabih Berri, petit palais en pierre claire, est fortement protégée.

«Ils veulent nous éradiquer politiquement»

Ali Hamdan tire les conséquences des événements. «Nous n'avions pas d'autre choix que de prendre les armes». Pour Amal, l'attaque contre le Hezbollah est une attaque contre toute la communauté chiite : «Ils veulent nous éradiquer politiquement». La majorité a «commis une grosse erreur et elle devrait le reconnaître», continue-t-il. «L'erreur» du gouvernement, selon lui, a été de dénoncer, par le biais de Walid Joumblatt, le réseau téléphonique du Hezbollah et de limoger le directeur de la sécurité de l'aéroport, accusé d'avoir laissé les hommes de Nasrallah implanter des caméras sur les pistes.

Pour comprendre, il faut savoir que la majorité au pouvoir réserve la question des armes du Hezbollah à une «négociation entre Libanais». La dénonciation du réseau téléphonique enterré et des caméras est apparue dès lors comme une finasserie pour accuser le parti de Nasrallah de créer un État dans l'État au profit de ses parrains syriens et iraniens. Les chiites ont répondu que le téléphone et les caméras faisaient partie de leur système de défense. «La réaction de l'opposition était normale», dit Ali Hamdan. Aujourd'hui, la majorité «doit annuler ses décisions» et «reprendre le dialogue», ajoute le conseiller de Nabih Berri.

Mais la donne a changé. Si tout le monde est d'accord sur le nom du chef de l'armée Michel Sleimane, comme président de consensus, les chiites réclament que cette nomination soit accompagnée d'élections législatives et d'une redistribution des postes au sein du gouvernement. Hier en fin de journée, ils semblaient vouloir pousser leur avantage un peu plus loin, un membre anonyme de l'opposition demandant la démission du gouvernement du premier ministre Siniora.

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