18.6.08

Le livre blanc et le renseignement

En France, quand on ne veut pas entendre parler d'une question, on crée une commission qui se charge de la faire disparaitre. Quel rapport avec le renseignement me direz-vous ?

Le Livre blanc lancé hier sur la piste aux étoiles annonce en grandes pompes la création d'un poste de coordonnateur du renseignement attaché directement au président de la République et confié au diplomate Bernard Bajolet, actuellement ambassadeur à Alger. Son rôle va être semblable au Director of Central Intelligence de la communauté américaine du renseignement. Mais la France n'est pas les Etats-Unis. Même si les différentes agences ne collaborent guère entre elles, à commencer par la CIA et le FBI, il n'en demeure pas moins que les Etats-Unis, qui ont copié cela au Joint Intelligence Committee britannique. Cela fait quarante ans que ces pays Anglo-saxons ont l'habitude de travailler ensemble, de partager de l'information, en interne entre les différentes agences qui forment une communauté comme en externe entre allié. Il n'y a qu'à voir la dernière bourde du MI-6, oubliant sur une banquette de train de banlieue un document estampillé "For UK/US/Canadian and Australian eyes only".
La France ne fait pas partie de ces échanges particuliers. Premièrement parce que ses services, au temps de la Guerre froide, n'étaient pas considérés comme sûrs par les Anglo-Saxons. Ensuite, parce que depuis cette époque de Red Scare ils ne sont considérés que comme des services de seconde zone, tout juste bon à bricoler en Afrique... Et encore, puisque les Américains y ont pris pieds depuis douze ans, occupant les places que la "Partie des droits de l'Homme" laissait libre. En Algérie, mais aussi en Afrique subsaharienne.
L'usine à gaz sarkosyenne vise à réaliser ce que le Comité interministériel du renseignement (CIR) n'a jamais réussi à faire, coordonner l'ensemble des services dépendants des ministères de la Défense (DRM, Direction du renseignement militaire ; DGSE, direction générale de la sécurité extérieure ; DPSD, Direction de la protection et de la sécurité de la défense), de l'Intérieur (DCRI, Direction centrale du renseignement intérieur) et du budget (DNRED, Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, et TRACFIN, Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins). Bien que institué par l'ordonnance du 7 janvier 1959, fondant la globalité de la Défense nationale en France, chaque service cultivait sa particularité, les militaires ne collaborant pas avec les chasseurs de taupes de la DST, tant par impossibilité culturelle à œuvrer de concert avec des civils qu'en raison, sans remonter à l'Affaire Dreyfus, d'une opposition tout aussi culturelle entre hommes du renseignement et agents du contre-espionnage. Deux métiers différents, deux logiques différentes. Et il n'est pas encore question des gabelous...
Cet état d'esprit séculaire ne changera pas avec la volonté politique. Pour en revenir aux Etats-Unis, la concurrence entre CIA et FBI reste prégnante, malgré les efforts réalisés depuis le 11 Septembre et l'autre usine à gaz de la Department of Homeland Security. Au fond, le plus important dans ce poste de coordonnateur du renseignement, qui prend la place du CIR, puisqu'il s'appuie sur les services du Secrétariat général de la défense nationale (SGDN), est justement qu'il est attaché directement au président de la République. Jusqu'à présent, les directeurs des services français ne voyant que deux fois le Président de la République, au moment de leur nomination, puis de leur départ. La plus haute autorité de l'Etat n'avaient que faire du renseignement. Pour partie, cela tient à la position du général de Gaulle : à Londres, il avait certes montré un intérêt pour la fonction renseignement, mais c'était en temps de guerre. La paix revenue, il ne voulait pas être au courant des pratiques en cours au SDECE (l'ex-DGSE), comme l'ont montrées ses réactions lors de l'affaire Markovic que lors de l'affaire Ben Barka. Quant à François Mitterrand, les témoignages sont nombreux, depuis le témoignage de sa rencontre avec Pierre Marion jusqu'à l'ordre qu'il n'a pas donné de couler le Rainbow Warrior... Dans quelle mesure le coordinateur changera-t-il quelque chose à cette ordre établi...

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