29.7.08

La «guerre contre le terrorisme» ne sert à rien

Un groupe de réflexion a mis en évidence que la solution militaire est inefficace contre la plupart des groupes terroristes. Pour battre al-Qaida, il préconise une nouvelle stratégie basée sur le renseignement et la police, et de changer de vocabulaire.

Une autopsie du terrorisme pour trouver la stratégie susceptible de vaincre al-Qaida. C'est à cet exercice statistique que se sont livrés Seth G. Jones et Martin C. Libicki pour la RAND Corporation, le think-tank américain proche du Pentagone. Pour tenter de comprendre le destin des groupes terroristes, les chercheurs ont compilé des données sur 648 groupes recensés à travers le monde entre 1968 et 2006.

Ils ont distingué chaque groupe en fonction de ses effectifs, ses buts, ses revenus financiers, du régime politique de son territoire d'implantation, de son orientation (religieux ou politique) et de ses buts. Ils ont ensuite passé au crible leurs destins. Sur les 648 groupes étudiés, 244 sont toujours actifs, et 136 se sont fragmentés ou ont fusionné avec d'autres groupes.

Les groupes religieux plus tenaces

Et parmi ceux qui ont effectivement cessé d'utiliser le terrorisme, les statistiques parlent d'elles-mêmes. La « bonne nouvelle » est que seuls 27 groupes (10%) ont cessé leurs activités après avoir rempli leurs objectifs, par exemple le FLN algérien. 114 (43%) ont déposé les armes suite à un accord politique avec l'Etat. Quant à ceux qui ont été réellement vaincu, 107 (40%) l'ont été par des moyens policiers et juridiques, les principaux étant le renseignement humain, l'infiltration des cellules, l'arrestation des leaders et le développement de la législation antiterroriste. Et 20 groupes seulement ont été écrasés sur le champ de bataille, par des moyens militaires, soit un pourcentage de 7%.

L'objectif du rapport étant d'évaluer les bonnes pratiques pour défaire al-Qaida, les historiques des mouvements similaires ont été spécialement étudiés. Mauvaise nouvelle : les groupes d'inspiration religieuse sont bien plus résistants que ceux qui ont une vocation politique. Depuis 1968, 62% des groupes terroristes ont cessé de nuire. Sur la même période, ce pourcentage tombe à 32% si l'on ne compte que les groupes religieux.

L'étude exclut d'office la solution politique pour al-Qaida, dont le but avoué est de renverser les gouvernements du Maghreb, du Proche et du Moyen Orient, pour unir le monde musulman sous une même bannière. La RAND Corporation estime que la probabilité d'un succès d'al-Qaida est proche de zéro, mais les statistiques montrent que les chances de parvenir à un accord politique sont d'autant plus faibles que les objectifs d'un groupe sont larges et ambitieux.

Quant à la solution militaire, à l'œuvre actuellement, l'étude conclut qu' « il n'y a aucun solution au terrorisme sur le champ de bataille ». Et d'ajouter que la force brute a souvent « l'effet inverse » en attisant l'hostilité des populations, fournissant ainsi un réservoir de recrue aux terroristes. Le groupe note une augmentation des actions d'al-Qaida dans un rayon plus large, et juge que la stratégie américaine de « guerre contre le terrorisme » n'a pas réussi à affaiblir la nébuleuse terroriste.

Une armée présente mais discrète

Quelle stratégie adopter alors ? L'étude préconise un combat sur deux fronts. D'abord, mettre l'accent sur la solution policière contre al-Qaida dans le monde, en augmentant les budgets de la CIA et du FBI. Objectif : cibler les principaux « nœuds » du réseau al-Qaida, qu'il s'agisse de points de décision, de communication ou de financement. Cela implique également de mettre hors d'état de nuire les chefs des réseaux, avec les règles qui s'imposent dans un état de droit. Le rapport cite notamment un membre de l'Unité de Coordination de la Lutte Antiterroriste française, qui fait part d'une tactique citée en exemple : concentrer les efforts de polices sur des délits annexes tels que le trafic de drogue, plus facile à prouver devant un tribunal, pour mettre les suspects « à l'ombre » sans attendre qu'ils aient commis un attentat.

Ensuite, l'étude ne plaide pas pour un désengagement militaire total, en particulier pour la situation particulière de l'Irak, où al-Qaida participe à une insurrection armée globale. L'histoire montre que la solution militaire est plus efficace contre les larges groupes de terroristes insurgés (19%) que contre les groupes terroristes en général (7%). Dans ces zones, la présence militaire est « nécessaire », mais le rapport souligne qu'il ne doit pas nécessairement s'agit d'une présence américaine. Les forces locales y auraient une plus grande légitimité, et une meilleure compréhension. Il faudrait donc, selon cette étude, que les Etats-Unis cantonnent leur rôle militaire en Irak à de la formation ou de l'armement.

La RAND Corporation suggère quelques pistes idéologiques. Par exemple, le groupe estime que les fatwas émises par le Conseil des Oulemas en Afghanistan clamant que les kamikazes n'auraient ni vierges, ni vie éternelle, ont été bien plus efficaces que les tonnes de tracts de propagande largués par l'aviation américaine.

Autre changement symbolique mais crucial : troquer la « War on Terror » (guerre contre le terrorisme), qui laisse croire à une solution purement militaire, contre le plus classique « counterterrorism » (antiterrorisme). De même, il s'agit de ne plus faire passer Ben Laden et consorts pour des guerriers engagés dans une guerre sainte mais pour de simples criminels.

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