15.7.08

Le renseignement plus que jamais une priorité nationale

Par Éric Denécé


Éric Denécé, le directeur du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R), auteur de Tout comprendre : Les services secrets (EPA, 2008), explique pourquoi les mesures annoncées dans le livre blanc sur la défense et la sécurité doivent être conçues comme le point de départ du redressement du renseignement et non comme un aboutissement.

Le récent livre blanc sur la défense affiche clairement la nouvelle priorité gouvernementale accordée «au renseignement et à l'anticipation», afin d'assurer la sécurité de notre pays. Les effectifs des services seront renforcés, le recrutement et la formation améliorés, des moyens supplémentaires leur seront accordés ; des budgets significatifs vont être consacrés au renseignement spatial, qu'il s'agisse de l'imagerie ou des interceptions ; un diplomate coordonnera, à partir de cet été, les activités des services, dans le cadre d'un Conseil national du renseignement (CNR) installé à l'Élysée.

Pour tous ceux qui plaident depuis longtemps pour une reconnaissance de l'importance du renseignement, c'est une immense satisfaction. Dans le monde hautement imprévisible dans lequel nous vivons, n'oublions jamais que «les armes importent moins que le bras qui les tient ; le bras importe moins que l'intelligente volonté qui le guide».

Cette évolution est due à la prise de conscience des rédacteurs du livre blanc de la nécessité d'anticiper les crises internationales afin de préserver nos intérêts, nos ressortissants et notre territoire. Elle est due, également, à l'action personnelle du président de la République qui est le premier chef de l'exécutif à s'intéresser à une discipline que tous ses prédécesseurs ont considéré comme mineure ou malsaine.

Depuis la création de la Ve République, aucun président n'a accordé la moindre importance aux services de renseignement. Le général de Gaulle n'entendait rien à ce domaine pourtant essentiel à l'action de l'État et George Pompidou les méprisait.

Seuls deux chefs de gouvernement ont manifesté un intérêt réel pour le renseignement : Raymond Barre et Michel Rocard. Tous deux avaient compris que «le renseignement est l'un des investissements les plus rentables de l'État. Il est l'une des fonctions fondamentales de la sécurité nationale de tout État de droit et constitue une condition nécessaire à la prospérité du pays». Mais ils étaient premiers ministres et ne purent jamais convaincre le chef de l'exécutif d'y accorder toute l'attention que ce domaine mérite. Le fait qu'un président de la République affiche aussi clairement sa volonté de faire du renseignement une priorité nationale mérite d'être souligné.

Le livre blanc n'est pas la première manifestation de l'intérêt de Nicolas Sarkozy pour ce domaine. Lorsqu'il était ministre de l'Intérieur, puis candidat à la présidentielle, il a proposé ou soutenu diverses réformes, qui ont pris corps dès son arrivée à l'Élysée : mise en place d'un délégation parlementaire pour le suivi des affaires de renseignement ; rapprochement de la DST et des Renseignements généraux (RG) ; nomination de professionnels reconnus à la tête des services (Frédéric Péchenard à la DGPN et Bernard Squarcini à la DST) ; volonté de créer un Conseil national de sécurité rattaché à la présidence, etc.

Certes, une partie de ces réformes étaient envisagée depuis longtemps : la transformation du SGDN en un Conseil national de sécurité est évoquée depuis les années 1980 et la fusion DST-RG au moins depuis 1986. Mais personne ne l'avait fait. Au début des années 1990, Michel Rocard, alors premier ministre, et son conseiller pour la sécurité, le préfet Rémy Pautrat, tentèrent de conduire une réforme : ils parvinrent à réactiver le comité interministériel du renseignement (CIR), mais le directeur de la police nationale de l'époque s'opposa au rapprochement DST-RG et le sujet n'intéressait pas François Mitterrand.

Toutefois, l'annonce de la priorité nouvelle accordée au renseignement doit être relativisée : le retard accumulé par nos services depuis plusieurs décennies nécessite un effort majeur. Or les mesures annoncées dans le livre blanc sont encore bien modestes.

Le renseignement spatial va être le bénéficiaire principal des nouveaux budgets. Des investissements importants sont en effet indispensables pour disposer de capacités d'interception ou d'observation depuis l'espace. C'est donc une excellente décision. Mais cela signifie que les services chargés de la recherche humaine ne bénéficieront que très partiellement de cette manne. C'est inquiétant, car nos organismes de renseignement opérant à l'étranger ont un besoin criant de moyens afin de s'adapter aux nouveaux défis. Michel Rocard rappelait récemment dans Le Figaro que les budgets que la France accordait au renseignement étaient trois fois moindres que ceux du Royaume-Uni, lequel dispose de plus du soutien financier et technique américain. Malgré la priorité affichée, les investissements proposés par le livre blanc ne permettront pas, loin s'en faut, de combler ce retard.

Rappelons pour mémoire, que la DGSE, le principal service français, représente seulement 0,9 % du budget de la défense, lequel représente moins de 2 % du budget de l'État ! C'est bien peu pour une priorité nationale. De plus, malgré la volonté affichée, la Direction du renseignement militaire (DRM) va perdre, cette année, des postes dans le cadre de la réduction du format des armées. Étonnamment, le livre blanc n'évoque pas le nécessaire rapprochement de ce jeune et efficace service avec la Direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD), à l'image de ce qui a été fait entre la DST et les RG.

Enfin, une réserve doit être formulée. La diplomatie n'est pas le renseignement. Quelles que soient les qualités personnelles des ambassadeurs nommés à la tête de la DGSE ou du CNR, il s'agit là de deux métiers et de deux vocations différentes. Comme le président l'a fait pour la police, il est temps de confier aux femmes et aux hommes du renseignement les fonctions de pilotage ou de coordination des services.

Nous devons nous réjouir que, pour la première fois, le renseignement fasse l'objet d'un intérêt présidentiel et d'une priorité nationale. Mais si une dynamique nouvelle semble s'esquisser grâce au livre blanc, celle-ci ne doit pas occulter un fait tangible : le renseignement français est sous-dimensionné au regard des menaces qui pèsent, de nos intérêts dans le monde et de nos responsabilités internationales.

Les mesures annoncées doivent être conçues comme le point de départ du redressement du renseignement national et non comme un aboutissement. Elles ne nous permettent pas d'égaler les moyens britanniques, allemands ou israéliens, pays dans lesquels les budgets de renseignement sont en continuelle augmentation depuis plusieurs années.
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