7.9.08

La diagonale du fourbe

Le retour de l’Afghanistan devant l’opinion publique française témoigne moins des limites de la liberté de la presse que des limites de l’opération d’information en œuvre sur ce théâtre d’opération. La guerre dans la quatrième dimension — cognitive — reste d’un maniement délicat. Touchant aux champs de la connaissance et de l’information, elle s’adresse aux populations belligérantes. La théorisation en cours depuis vingt ans, des deux côtés de l’Atlantique, ne s’est pas accordée sur cette dernière notion. Si Américains et Européens s’accordent sur une définition offensive, destinée à la domination du théâtre d’information (Full spectrum dominance), les opinions divergent quant à la dimension à donner à son aspect défensif. Les politiques proclament la guerre contre le terrorisme comme un phénomène universel, mais les militaires continuent de considérer chaque conflit dans leur unicité. Naturellement, la vérité se trouve entre les deux. Aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, la réalité de la menace terroriste a été constatée dans la plus indicible horreur, légitimant du même coup les combats en Afghanistan… et ailleurs. En France, et dans une moindre mesure dans d’autres pays européens, comme l’Espagne et l’Italie, le sentiment d’illégitimité de l’intervention contre l’Irak a conduit à placer sous un cône de silence les opérations en Afghanistan.
La relativité de la sphère de consensus autour des questions militaires en Europe explique cette divergence. Mais elle s’explique aussi par une fragilité de l’opération d’information en Afghanistan. Les techniques utilisées par les troupes occidentales pour se gagner les populations locales ont largement été apprises par les Talibans, ainsi que le montre leur montée opérationnelle depuis ce printemps. Ils ont notamment appris les vertus du « strategic corporal », expression se référant aux incidences d’une prise de décision au niveau tactique sur le niveau stratégique politique. Ils l’appliquent avec succès sur les populations locales ; ils bénéficient du haut niveau d’analphabétisme, qui limitant la portée des opérations psychologiques de l’ISAF, mais utilisent également l’environnement hostile. Ainsi ont-ils développé leur propre opération d’information, jouant sur deux axes : local, pour détacher les communautés locales du gouvernement Karzai, et international, pour miner la solidité de la coalition antiterroriste. Ils ont notamment compris que le haut niveau tactique à court terme affiché par l’ISAF révélait une volonté de rassurer certains gouvernements européens en affichant une performance de l’opération militaire par une communication sur les combattants tués. Par leur accès aux médias internationaux, les Talibans sont en mesure de réaliser la même communication. Et la parade dans Paris-Match en est la démonstration.
Quelle attitude tenir à l’avenir ? Pour obtenir le soutien des opinions publiques dans ce genre mission, il importe que les communautés internationales et nationales en aient une connaissance pleine et entière, qu’elles comprennent ses buts et les objectifs à atteindre. Cette transparence peut avoir un effet positif sur le soutien international et local et finalement aider à créer des perceptions et des attentes réalistes. En Afghanistan, les attentes ont été hautes et quelques incertitudes concernant le mandat de l’ISAF sont perçues, surtout concernant les opérations anti-drogues. Cette confusion a été utilisée par les Talibans pour saper la mission, utilisant la trop grande transparence dans laquelle sont menées les opérations. L’OTAN médite deux leçons importantes. Premièrement, tâches militaires essentielles et besoin de soutien doivent être formulés dans des termes clairs, afin que différentes interprétations ne puissent apparaître dans la zone d’opération ou dans les pays contributeurs de troupes. Deuxièmement, des stratégies de communication efficaces pour informer les populations sont extrêmement importantes.

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