Des conséquences incroyables…

Les événements qui ont conduit à ce désastreux résultat peuvent paraître anodins. Pourtant, ils portent en eux une remise en cause générale de la politique nationale à un moment des plus crucial. Et de laisser le Premier ministre bien seul à l’approche des élections législatives. Et non, toujours aucun rapport avec l’Europe. C’est bien d’Israël qu’il est question et des relations privées que Judith Nir Moses Shalom., l’une des propriétaires du principal quotidien israélien, Yédiot Aharonot, voulaient entretenir avec la chanteuse Madonna, entrée dans une période kabbalistique prompte à séduire la néo-conservatrice épouse du ministre des Affaires étrangères israélien.
Rappel des faits : en septembre dernier, la chanteuse s’était rendue en Israël afin de s’y ressourcer et de confronter ses considérations philosophiques nouvelles avec l’histoire du judaïsme. Au grand dam des orthodoxes qui voyaient la fête de Rosh Hashana souillée par cette femme, mais à la grande joie de Judith Nir Moses Shalom. Profitant de la position de son mari, Sylvan Shalom, elle avait fait demander au premier secrétaire de l’ambassade à Washington, Liran Peterzil, de lui organiser une rencontre. Considérant qu’il ne s’agissait pas d’une requête officielle, une fin de non-recevoir fut opposée à la demande. La fan déboutée ne l’entendait pas ainsi. Elle demanda à son époux la tête du diplomate. Tout aurait pu se terminer là si, le 15 mai, l’ambassadeur d’Israël dans la capitale américaine, Danny Ayalon, n’avait pas officiellement porté plainte auprès du conseiller juridique. Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Marc Reger, a qualifié de « ridicule » cette accusation, affirmant que Danny Ayalon cherchait à détourner l'attention d’une enquête administrative sur le comportement de sa femme Anne à l’ambassade. En réponse à l’accusation, le chef de la diplomatie israélienne affirma son opposition au renouvellement du mandat de Danny Ayalon, dont la mission se termine en août. Shalom et Ayalon ne se parlent plus depuis quelques mois, a rapporté la radio publique israélienne.
L’histoire du fan devenait une affaire politique. Au-delà des querelles de personnes, dont les relations sont exécrables, l’affrontement de ces deux mastodontes du Likoud atteint inévitablement Ariel Sharon. Même si Sylvan Shalom fait valoir que les nominations diplomatiques relèvent de ses prérogatives, Danny Ayalon a été nommé sur un quota considéré comme réservé au chef du gouvernement. De plus, il est considéré comme un protégé d’Ariel Sharon. Les médias israéliens soulignent d’ailleurs que Ayalon et Peterzil jouissent d’un soutien « chaleureux » auprès du Premier ministre. La manœuvre de Sylvan Shalom, notoirement opposé au retrait israélien de la bande de Gaza et de Cisjordanie, proposé par Ariel Sharon et soutenu par les Etats-Unis, est claire : mettre en difficulté le Premier ministre sur la scène intérieure et le priver d’un lien sûr avec les parrains américains.
Déjà en février dernier, alors qu’il réaffirmait encore quelques heures auparavant devant les participants au sommet de Charm al-Cheikh sa détermination à mettre en œuvre son plan de retrait de la bande de Gaza, il avait pris la tête d’une campagne réclamant que ce projet soit soumis à référendum. Dans une déclaration à la télévision publique, le ministre des Affaires étrangères — qui n’a pas été invité par le Premier ministre à l’accompagner dans la station balnéaire de la mer Rouge -— avait ainsi annoncé son « intention de mener une initiative publique, parlementaire et politique » pour parvenir à ce que le désengagement des vingt et une colonies de la bande de Gaza ainsi que le démantèlement de quatre petites implantations de Cisjordanie soient au préalable entérinés par la population israélienne. Sylvan Shalom a même fait valoir que la tenue de cette consultation — sans précédent en Israël — «ne devrait pas remettre en cause le calendrier de retrait» qui doit débuter dès l’été prochain. L’initiative de ce faucon du Likoud — qui a d’ores et déjà reçu le soutien du président de la Knesset, Réouven Rivlin, et de plusieurs ténors du parti comme le ministre des Finances Benyamin Netanyahou — a été interprétée comme une volonté de faire chuter le cabinet d’union nationale.
Ariel Sharon l’a d’ailleurs bien compris lorsqu’il a émis une fin de non recevoir à cette idée de référendum. Depuis, il est dans une situation délicate car il ne dispose pas de véritable majorité parlementaire malgré l’entrée en janvier dernier au gouvernement des travaillistes. Treize des quarante députés de son parti ont en effet voté contre son plan de retrait et menacé de ne pas voter le budget 2005. La loi de finances adoptée le 30 mars a maintenu le cabinet Sharon, évitant des élections anticipées. Mais les difficultés auxquelles doit faire face Ariel Sharon ne faisaient que commencer. Le 8 février dernier, la radio militaire israélienne ne s’y était d’ailleurs pas trompée lorsqu’elle avait qualifié la démarche de Sylvan Shalom de « bombe politique ». Plus ironique, la radio publique avait quant à elle estimé que si le Premier ministre avait réussi à désamorcer l'Intifada palestinienne, il semblerait qu’il soit désormais confronté à une « Intifada dans son propre camp ».
Les conclusions de l’enquête administrative en cours sur le comportement avec leur personnel de l’ambassadeur d’Israël à Washington et de son épouse pourraient être « très graves », a indiqué ce matin à Jérusalem le Contrôleur de la fonction publique israélienne, Shmouel Hollander. « L’enquêteur spécial chargé d’établir le rapport sur ce qui s’est passé à l’ambassade à Washington a interrogé des dizaines de témoins, souvent apeurés, et ses conclusions pourraient être très graves », a déclaré M. Hollander à la radio publique israélienne. Selon la radio, ce rapport devrait être établi en principe en fin de semaine et faire l’objet de diverses vérifications au ministère des Affaires étrangères avant d’être rendu public. D’après des proches de Sylvan Shalom, Danny Ayalon serait rappelé immédiatement après la fin de l’enquête, sans attendre la fin de son mandat en août.