31.5.05

Le sommet de l'Etat libanais résiste au changement

LIBAN Après la première phase des élections législatives, remportées dimanche par le clan Hariri

Les observateurs de l'Union européenne (UE) ont salué hier la conduite «transparente» des élections législatives de dimanche au Liban, les premières à se dérouler sans présence de l'armée syrienne depuis trente ans. Les résultats officiels montrent la victoire des listes du Courant du Futur, de Saad Hariri, le fils de l'ancien premier ministre assassiné, Rafic Hariri. Saad Hariri et ses 18 colistiers ont remporté la totalité des sièges de la capitale. La participation a cependant été limitée à 27%. Le scrutin législatif doit se poursuivre les trois prochains dimanches dans les autres régions du pays.

Beyrouth : de notre envoyé spécial Georges Malbrunot
[Le Figaro, 31 mai 2005]

Chacun à sa manière, le président libanais, le général Émile Lahoud et le premier ministre, Najib Mikati, entendent résister au vent de changement qui secoue le pays depuis l'assassinat de l'ancien chef du gouvernement, Rafic Hariri, le 14 février. Le premier brandit la Constitution, le second les réformes. «Je ne partirai pas, qu'ils n'y comptent pas», assure au Figaro le général Lahoud dans son immense bureau du palais de Baabda. Les Libanais lui reprochent d'avoir été l'un des principaux instruments de la tutelle syrienne, qui a pris fin en avril. Son départ est l'une des dernières revendications à cimenter les différents mouvements d'opposition. «Il n'y que deux façons d'écarter un président de la République, se défend l'ancien commandant en chef de l'armée, bronzé dans un costume bleu de bonne coupe. Qu'il ait commis un acte anticonstitutionnel, ou qu'il ait trahi. Comment peut-on me reprocher une trahison, alors que j'ai mis un terme à l'occupation israélienne du Liban-Sud en 2000 ?»
Lahoud jouit d'excellentes relations avec le Hezbollah, le mouvement chiite qui menait la guérilla contre l'armée israélienne. Mais depuis la mort d'Hariri, le président, marginalisé dans son palais, est la cible des quolibets, tandis que les rumeurs courent sur une éventuelle retraite dorée à Monaco. «Je laisse dire la presse, elle m'insulte quotidiennement. Je ne réponds pas, vous savez, ici, c'est très facile d'acheter les journalistes», répond le chef de l'Etat. A ses yeux, la très faible participation au premier round des législatives, dimanche à Beyrouth, marque l'échec de l'opposition antisyrienne. Quant au raz de marée de la liste de Saad Hariri, le fils de l'ancien premier ministre assassiné, il ne s'explique selon lui que par «un vote émotionnel» : «les gens ont voté avec leur coeur en se souvenant du père», observe celui qui n'avait pas jugé bon d'aller se recueillir sur la dépouille de son ex-chef de gouvernement. «A qui profite le crime contre Hariri ?», s'interroge-t-il, en reprenant l'argumentaire prosyrien. Il avance deux pistes : «Les Israéliens et les fondamentalistes islamistes.»
Soucieux de préserver la fonction présidentielle, que la Constitution réserve à un chrétien maronite, certains dirigeants chrétiens ne seraient pas opposés à ce que Lahoud reste à la présidence. D'autres, en revanche, espèrent que les conclusions de la commission d'enquête internationale sur l'assassinat d'Hariri seront suffisamment compromettantes pour déclencher une procédure de destitution. Lahoud dit ne pas craindre l'épreuve. «Le nouveau Parlement ne tiendra pas longtemps, il est composé des mêmes têtes», dit-il.
Pour sa survie politique, le président ne pourra pas compter sur son premier ministre, Najib Mikati, un musulman sunnite avec qui ses relations ne sont pas au beau fixe. Homme d'affaires, Mikati était opposé à la reconduction de Lahoud à la présidence, demandée par les Syriens, l'été dernier. Le coup de force souleva la colère des dirigeants français et américains. Ami du numéro un syrien, Bachar el-Assad, Mikati ambitionne de refaire de Beyrouth la principale place financière du Moyen-Orient. Lui a des chances d'être reconduit par le prochain Parlement. «Le 20 juin, à l'issue des élections, je rêve de pouvoir dire aux Libanais : rappelez-vous de ce qui s'est passé ces quatre derniers mois, pendant lesquels aucune goutte de sang n'a été versée, déclare le premier ministre au Figaro dans son appartement du quartier de Verdun. Rappelez-vous d'où l'on vient et où l'on est maintenant. Les Syriens sont partis. Les élections ont eu lieu. La commission a commencé son enquête. Et les chefs des services de sécurité ont été écartés, même le dernier, Moustapha Hamdane, le chef de la garde présidentielle, vient d'être mis au repos forcé.»
Son amitié avec Bachar el-Assad n'est pas, selon lui, un handicap. «Nous avons confiance l'un envers l'autre, et il me respecte. C'est ce type de relations exceptionnelles que je voudrais instaurer entre nos deux pays.» Le président syrien lui a donné son accord pour ouvrir dans «un délai raisonnable» une ambassade syrienne à Beyrouth. Quant aux réfugiés palestiniens du Liban, s'ils acceptent de déposer leurs armes comme le veut la résolution 1 559 du Conseil de sécurité de l'ONU, Najib Mikati est prêt à leur accorder davantage de droits. Il envisage de revoir en particulier la liste des 72 professions auxquelles ils sont interdits d'accès au Liban. «Nous sommes en discussion avec Mahmoud Abbas et l'Autorité palestinienne. Les contacts sont bons. Nous envisageons aussi l'ouverture d'une représentation palestinienne à Beyrouth», dit-il.
Volontariste, l'ancien député de Tripoli ne dévoile pas pour autant ses batteries. «Il faut laisser un peu de travail au futur premier ministre», sourit-il, lorsqu'on l'interroge sur son programme. Mais une chose est sûre : «Le Liban n'a pas d'autre choix que de réformer la fonction publique, la justice, et lutter contre la corruption. Je veux convaincre la communauté internationale de mon sérieux en ce domaine.» Le premier ministre a tiré les leçons du passé. «Avant d'aller demander de l'argent auprès des bailleurs de fonds internationaux, comme l'avait fait Rafic Hariri, je veux m'assurer auprès des principaux dirigeants libanais de leur appui pour engager ces réformes. Sinon, je partirais.»

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