30.5.05

"Douche froide" à la "une"

LEMONDE.FR | 30.05.05 | 10h00  •  Mis à jour le 30.05.05 | 10h27

LA CLAQUE

"Les Français qui disent non à l'Europe, c'est comme si les Anglais disaient non au bœuf, ou les Russes non à la vodka. Ou peut-être même comme si le cœur disait non au corps", se désole Timothy Garton Ash, éditorialiste au Guardian de Londres (gauche).
A la "une" de la presse européenne, ce matin, la stupeur domine. Le non français, "net et sans bavure", est "une claque pour la Constitution européenne", titre La Dernière Heure de Bruxelles. Il fait "l'effet d'une douche froide" à la Süddeutsche Zeitung de Munich (gauche libérale) : "En 2005, c'est la démocratie qui, très simplement et directement, amène la sueur au front des premiers ministres et des présidents. Impuissants, ils sont contraints de regarder une partie de la population menacer de déchirer ce qu'ils avaient édifié à force de courage et après quantité de brouillons : la Constitution européenne, sensée engager de plus en plus leurs pays vers un avenir commun." Si le traité était rejeté à cause des Français et des Néerlandais, "ce serait historiquement une farce", poursuit le quotidien allemand, car jamais "les précédents traités n'avaient impliqué autant de démocratie", l'européanisation se faisant alors "par le haut".
Le tabloïd londonien le Sun (conservateur), de son côté, jubile : en votant "non, non et non", les Français ont fait leur "révolution" et "anéanti la Constitution haïe". "Ils ont rejeté la Constitution pour des raisons qui leur sont propres. Exactement comme les Néerlandais le feront mercredi. Et exactement comme les Britanniques le feront, si on leur en donne l'occasion", prédit l'éditorialiste du quotidien.

LA RESPONSABILITÉ DE CHIRAC

Le non français était "dicté par la peur, et une incapacité à s'adapter aux nouvelles réalités de la mondialisation et d'une Union européenne élargie", analyse Francisco Sarsfield Cabral dans le Diario de Noticias de Lisbonne. L'éditorialiste dénonce "l'attitude réactionnaire" de la France, et "un populisme anti-libéral" commun avec l'Allemagne : "Une évolution similaire, et dramatique, est survenue dans les années 1930, avec l'escalade protectionniste", prévient-il.
Michaela Wiegel, dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung (droite), détaille "les erreurs de calcul de Chirac", qui a "sans doute subi hier soir la défaite la plus amère de sa carrière politique, deux ans avant la fin de son mandat". Premièrement, d'avoir choisi la voie référendaire, alors qu'un vote au Parlement et au Sénat "aurait été presque une formalité". Deuxièmement, d'avoir défendu le traité "avec très peu d'imagination". Et de souligner l'hostilité du président français envers Valéry Giscard d'Estaing, qui l'aura sans doute retenu de valoriser le travail de ce dernier à la tête de la Convention européenne…
ABC de Madrid (droite) a lui aussi la dent dure envers l'actuel hôte de l'Elysée. "Ceux qui considéraient, avec pas mal d'ignorance historique, que la France était l'un des ventricules du cœur de l'Europe, doivent maintenant se dire qu'ils auraient dû se montrer un peu plus discrets et prudents dans leurs propos. La victoire du non montre que ce soi-disant cœur était malade. Il a subi une sérieuse attaque cardiaque dans les urnes."  Et de poursuivre : "La responsabilité de Chirac et du premier ministre Raffarin est évidente. Sans réel leadership, sans projet et guidé par un narcissisme présidentiel évident, Chirac a subi une lourde défaite qui lui ôte définitivement la possibilité de toute nouvelle candidature."  Pour le quotidien, pas de doute. Comme la Turquie au début du XXe siècle, la France est désormais "le nouveau malade de l'Europe".

ET DEMAIN ?


Le Financial Times de Londres est l'un des rares quotidien à trouver avantage à la situation : "Le non français n'est pas si dramatique que cela", titre-t-il en éditorial. "Il constitue un choc. Mais aussi une occasion : celle d'un débat de fond sur la forme de la future union."  Le quotidien espagnol El Pais (gauche) n'est pas loin de penser de même. Le référendum français aura eu au moins un mérite : "Impliquer des millions de citoyens dans un débat sur le futur de l'Union". Cela étant, les mois qui viennent s'annoncent difficiles : "A partir d'aujourd'hui, l'Union européenne avance sans direction." 
La Vanguardia de Barcelone (modéré) enfonce le clou : la prétention d'une partie de la gauche française "à forcer les pays européens à renégocier le traité est clairement illusoire."  Même le président Chirac, "en dépit de sa stupidité politique, le sait : cette Constitution est la meilleure possible en fonction de l'idée de l'Europe que défend la France. Elle maintient le modèle social, conserve les services publics d'intérêt général et défend la diversité culturelle", assure le quotidien catalan. Il rapporte cette anecdote, en guise de conclusion : "Durant l'été 2001, Bush avait reçu Blair, et lui avait demandé s'il voulait que l'Europe soit un succès. La réponse affirmative du premier ministre britannique avait été prise comme une provocation par le président américain. Il est évident que si la France vote non, l'Europe cesse d'être une provocation et un sujet de préoccupation pour les Etats-Unis de Bush."


VU DES ÉTATS-UNIS : QUI POUR REPRENDRE LE GOUVERNAIL ?

La nouvelle figure également à la "une" de la plupart des grands quotidiens américains, ce matin. "Les électeurs français rejettent, à grand bruit, la Constitution européenne", rapporte Elaine Sciolino, dans le New York Times. "La France vote non au traité, et les répercussions s'en font sentir aux quatre coins de l'Europe", renchérit le Boston Globe. Le Los Angeles Times, pour sa part, annonce "une crise politique en Europe et un coup dur porté au président Chirac". L'International Herald Tribune, enfin, détaille les conséquences du vote français sur les relations entre Paris et Varsovie : les Polonais ne comprennent pas comment les Français peuvent défaire un texte qui "a été mis en forme par un ancien président français et qui codifie les lois de l'Europe dans un style napoléonien", relate Thomas Fuller.
David Ignatius, dans le Washington Post, s'étonne du spectacle offert par les partisans du non, à l'annonce des résultats : "le poing brandi, comme si en rejetant un ensemble d'amendements techniques aux règles européennes, ils pouvaient conjurer un avenir menaçant", assombri par la mondialisation. L'éditorialiste, lui aussi, dénonce "l'incapacité à gouverner" de Jacques Chirac : "En deux mandats, il a été incapable de répondre aux attentes des Français quant  aux changements qui seraient nécessaires pour protéger le mode de vie qui leur est cher. Il a fait semblant de mener des réformes économiques, s'avançant sur la pointe des pieds et reculant au moindre signe de mécontentement de la population." David Ignatius, qui a vécu quatre ans en France, ne jette pas pour autant la pierre aux Français : "Ils ont raison de s'inquiéter pour leur avenir. Avec leur système économique actuel, ils ne pourront faire face. Qu'ils disent non à Chirac est compréhensible, mais pour prospérer au XXIe siècle, ils devront bientôt dire oui à un homme politique qui leur parle franchement et qui les aide à construire un pont vers le futur." Comme Bill Clinton avait su le faire en 1996. Nicolas Sarkozy serait-il l'homme de la situation ? Il est en tout cas le potentiel successeur de Chirac "le plus intéressant", estime l'éditorialiste.


Marie Bélœil

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