Le scrutin d’hier promettait d’être historique. Pourtant, il n’a pas suscité de grandes attentes. La participation a été faible, comme si les jeux étaient faits avant le scrutin. Quant aux conséquences pour l’avenir, elles n’apparaissent pas vraiment à la population dans son ensemble, au grand dam des politiques. Peut-être parce que le processus électoral s’étale sur plusieurs semaines ? Bien entendu, il n’est pas question ici du référendum français, mais des législatives libanaises.
Les élections législatives qui ont débuté, dimanche 29 mai à 7 heures du matin, à Beyrouth, s'étaleront sur trois semaines dans les autres circonscriptions du pays. Pour la première fois depuis trente-trois ans, elles se déroulent sans la présence syrienne. Mais le taux de participation était de 12 % hier matin, un taux plus faible que celui enregistré aux dernières élections de 2000, où il avait alors atteint 33,8 %. Pour le Premier ministre libanais Nagib Miqati, cette faible mobilisation résultait de l'élection d'office de neuf candidats et des appels au boycottage du scrutin. De fait, à Beyrouth, les résultats sont connus d'avance.
La liste électorale proposée par le Courant du futur de Saad Hariri, fils de l'ancien Premier ministre musulman sunnite assassiné, est assurée de remporter la grande majorité des dix-neuf sièges réservés à la capitale. Le même constat prévaut au niveau national. La loi électorale, concoctée du temps de la tutelle syrienne, favorise les grandes formations traditionnelles au détriment, notamment, des chrétiens et limite par avance les changements espérés par une partie des Libanais. Ainsi, comme lors des précédentes législatives de 2000, le mouvement de M. Hariri et le Parti socialiste progressiste (PSP), du druze Walid Joumblatt, sont assurés d'obtenir une majorité dans la future Assemblée. Au final, les partis de l'opposition devraient remporter, selon les estimations, environ deux tiers des sièges. Du côté loyaliste pro-syrien, les deux partis chiites, Hezbollah et Amal, maintiendront également leur hégémonie dans leur fief du Liban sud, qui votera le 5 juin pour 23 députés, et dans une partie de la plaine de la Bekaa.
Au grand dam de ceux qui espéraient écarter les alliés de Damas de la scène politique libanaise. Pour ces déçus, les regards se tournent désormais vers la montagne, où se déroulera, le 12 juin, la seule bataille de ces élections depuis le divorce annoncé entre le général Michel Aoun, revenu en mai après quatorze ans d'exil, et l'opposition. A quarante-huit heures du coup d'envoi des législatives, le général, de confession maronite, annonçait solennellement qu'il ferait « cavalier seul », car il ne pouvait « affronter l'opposition dans une circonscription et s'allier avec elle dans une autre ». Ce sera donc l'affrontement, notamment contre le parti de Walid Joumblatt dans la montagne. Selon Michel Aoun, les Libanais assisteront même à « la mère de toutes les batailles ».
Le printemps libanais unanimement salué comme une victoire démocratique, dans le sens américain du terme, se termine donc comme une simple giboulée. Tout le monde était d’accord pour éliminer la Syrie du jeu libanais, en premier lieu la France et les Etats-Unis. Mais les fonds et les leçons d’USaid ne peuvent faire une saison. Ils négligent comme souvent le courant culturel local. Il est une chose de remplacer les désillusions soviétiques par le rêve américain dans le Caucase. Et encore en voyons-nous les limites lorsque les intérêts américains sont déjà engagés dans le pays, comme en Ouzbékistan. Alors, en terre arabe…
Le printemps de Beyrouth n’était pas qu’une manœuvre destinée à calmer les esprits après l’assassinat de Rafic Hariri, dont on ne sait toujours pas si la Syrie était à l’origine. Il y a des morts qui arrangent bien du monde ! Toujours est-il que le Président Emile Lahoud se trouve maintenant dans une situation bien délicate depuis le départ de la tutelle syrienne. Mais les dizaines de pétitions pour la souveraineté et l'indépendance, la chute du gouvernement, la manifestation géante du 14 mars, la journée de réconciliation nationale du 13 avril, le retrait syrien, le retour d'exil du général Aoun, tous ces événements positifs n’étaient pas destinés à se conclure par des élections libres, impossibles à tenir en vertu du confessionnalisme du système politique. En refusant de réformer l’Etat, le front anti-syrien reproduit les mêmes errements qui ont conduit le Liban au chaos, à la guerre civile et à l’occupation. La solution à la crise démocratique libanaise, car le Liban est bien une démocratie, dépend d’abord de la volonté des Libanais de se prendre en charge. Elle ne pourra pas être importée des Etats-Unis ou de Kirghizie, comme elle en prend pourtant le chemin.
30.5.05
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