Avec des paroles comme « Tenir au creux de ses mains / Les clefs de notre destin / Mener à la victoire / Tous nos rêves d’un soir », il était que la chanson présentée par la France à la cinquantième édition de l’Eurovision n’avaient guère de chances. De là à imaginer, comme le quotidien français « Libération » samedi matin, qu’« Eurovision et Constitution, même combat », la tentation était forte. Si forte que le journal s’y laissa prendre. « En s’appuyant sur le fameux TCE (traité établissant une Constitution pour l’Europe), Libération a décidé de décrypter l’European Song Contest afin de répondre à cette angoissante question : faut-il voter oui ou non à l’Eurovision ? » Les arguments s’enchaînent, sans être totalement en décalage avec le niveau du débat constitutionnel en France. Ainsi, Raphaël Garrigos et Isabelle Roberts enchaînent Oui et Non, s’appuyant sur le texte constitutionnel pour analyser cette image institutionnelle de l’Europe : Oui parce que l’immigration est favorisée, pour la défense du service public, parce qu’il y a de jolies chansons ; Non parce qu’il est interdit de se moquer, parce qu’il faut raquer pour voter, parce qu’y a de la triche. Evidemment, les journalistes ont trouvé deux politiques pour s’exprimer sur le sujet : d’après François Hollande, « s’il n’y a pas d’Eurovision, il n’y aura pas d’Europe sociale » ; pour Philippe de Villiers, « L’Eurovision est formatée pour préparer l’accueil de la Turquie ». Et d’oublier Israël et la Russie…
L’exercice de « Libération » n’était pourtant pas aussi grand-guignolesque que cela. L’édition française du « Jerusalem Post » du dimanche matin tendrait à la démontrer :
« Israël a obtenu la 4e place au 50e concours de l’Eurovision à Kiev, en Ukraine, avec le chant de Shiri Maimon. La première place a été attribuée à la Grèce, grâce à la prestation de la chanteuse Helena Paparizou avec My Number One. La France était représentée par la chanteuse d’origine israélienne Ortal. Agée de 26 ans, cette Parisienne passionnée de pop et R & B a terminé à la 23e et avant-dernière place. »
A noter que les quelques points que reçu la France venaient des votes d’Albanie, d’Andorre et… d’Israël. Ce classement appelle deux observations :
1. Quid de la francophonie ? La tendance à l’anglophonie s’affirme de plus en plus depuis une vingtaine d’année, tendant à disqualifier la France qui s’obstine à chanter en français. Mais, comme souvent dans l’analyse des choses médiatiques européennes, la question de la langue est un peu courte. Malte, arrivée deuxième, et la Croatie n’ont pas hésité à conserver leur langue pour un résultat plus qu’honorable, comparé au sort de la France. Même l’Ukraine, pour célébrer leur « révolution orange », a fait ce choix pour une place anecdotique certes (20e), devant la France. La francophonie est aussi un outil politique et, comme tel, devrait générer une solidarité. A observer les votes de Monaco, de la Belgique, de la Suisse, de la Pologne et de la Roumanie, on peut s’interroger sur la réalité du sens à donner à « l’exception française » en matière culturelle.
2. Quid de la position de la France en Europe ? Depuis 1964, Norvège, Danemark et Finlande s’entre-plébiscitent. Avec la perestroïka, l’ex-Union soviétique a déferlé sur l’Eurovision : l’Estonie, la Lettonie et l’Ukraine, séparées mais solidaires, ont remporté le concours, respectivement en 2001, 2002 et 2004. Chypre, Malte et la Grèce votent également entre-eux, renforcé il est vrai cette année par les pays des Balkans, qui ont largement apporté leurs suffrages à leurs voisins immédiats et à la Grèce, lui ouvrant la voie vers la victoire. Avec le soutien de la Turquie… Ce dernier pays a également soutenu son allié israélien, tandis que l’Irlande, non représentée, votait pour la Grande-Bretagne.
Ces petits arrangements entre voisins tendent à démontrer que l’Europe n’existe pas vraiment dans les têtes. Elle n’est qu’un assemblage de zones géographiques solidaires entre elles, moins par la culture — rappelons que l’European Song Contest est un produit de l’Union européenne de radiodiffusion, un des rares programmes intégré même, avec les retransmissions sportives — que par les liens d’amitié. Saluons toutefois cette avancée européenne qui imprime dans les relations entre nations du continent ce genre de « coopérations renforcées ». Initiées par le traité d’Amsterdam de 1997, elles rompent avec la logique unitaire ou uniformisant de la construction européenne, se présentant comme un facteur d'hétérogénéité.
Pourtant, le sort fait à ce concours depuis la chute du mur de Berlin ne répond pas à la définition de « groupe premier », proposé par le président Chirac, dans un discours prononcé le 27 juin 2000 devant le Bundestag, et destiné à réunir autour du couple franco-allemand les pays qui souhaitent aller plus loin ou plus vite. Au contraire, il présente plutôt une fracture au sein du processus de construction européenne. En effet, on touche ici aux limites des processus d’Union européenne et de Conseil de l’Europe. Les pays-membres de la première sont de moins en moins représentés au Concourt européen de la chanson, sans pourtant que des solidarités particulières jouent entre les restants. La France, l’Allemagne, l’Espagne et la Grande-Bretagne ne se sont pas prononcées en fonction de la préférence communautaire…
Quant aux pays de l’« autre » Europe, celle du Conseil s’entend, la présence au concours de l’Eurovision recèle la même réalité que l’appartenance à l’Alliance Atlantique : un gage d’intégrer un jour l’Union. Voilà qui éclaire d’un autre jour la présence de Viktor Iouchtchenko et la remise à la chanteuse grecque, en plus du prix de l’Eurovision, un trophée en or dont la forme rappelle celle d’un bijou scythe. « C'est le prix ukrainien de la meilleure chanson européenne, pour la meilleure chanteuse européenne au nom d’une Europe unie », a déclaré le président ukrainien. « Chacun pense à soi », avait chanté quelques instants plus tôt, dernière de la présentation, avant d’être reléguée à l’avant-dernière place, juste avant l’Allemagne, la chanteuse française ! Cruel constat pour l’Europe culturelle…
23.5.05
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