23.5.05

Saad Hariri, en politique malgré lui

LE MONDE | 23.05.05 | 16h00  •  Mis à jour le 23.05.05 | 16h00

Il aurait préféré rester à l'écart de la politique. A fortiori, dit-il, dans les circonstances actuelles : l'assassinat, le 14 février, à Beyrouth, de son père, l'ancien premier ministre Rafic Hariri, auquel il voue une admiration illimitée.
Saad Hariri dirigeait jusqu'alors avec succès, en Arabie saoudite, la société Saudi Oger, créée par son père, qui brasse un chiffre d'affaires de plus de 2 milliards de dollars. A 35 ans, il se retrouve catapulté sur le devant de la scène au Liban, briguant déjà - tête de liste, comme l'était son père - un mandat de député. Pris dans un tourbillon politique où les alliances se font et se défont au gré des jours, sinon des heures, tout en étant assuré de l'emporter compte tenu des équilibres nationaux.
Il raconte : "Sous le choc de l'assassinat, la famille avait décidé de renoncer à la politique, de continuer seulement l'action -charitable et sociale- au sein de la Fondation Hariri." Ce qui l'a fait changer d'avis en l'espace de deux mois, c'est "l'affection exceptionnelle que les Libanais ont exprimée à l'endroit de -son- père" . "Il était dès lors difficile de dire : "On arrête, on les abandonne.""
La succession était d'autant moins évidente que Rafic Hariri, de son vivant, a déclaré ne pas vouloir d'héritier en politique. La décision de prendre la relève tenait donc du "devoir" . Elle fut d'autant plus difficile à prendre que "la famille a déjà beaucoup donné" , explique le jeune novice. "Elle a donné un père, elle a peur pour moi, pour ma mère, pour mes frères et soeurs."
"La politique était la dernière chose à laquelle j'aurais pensé, parce que je voyais tout ce que mon père endurait" , dit-il. La règle aurait voulu que le flambeau soit repris par l'aîné. Mais l'intéressé, Bahaa, "a souhaité continuer dans le domaine des affaires" . "La politique m'est tombée sur la tête ! explique Saad. Lorsque les gens viennent me voir pour la première fois, ils me disent "mabrouk" -félicitations-. En réalité, il n'y a pas lieu de me féliciter. C'est la fin de ma vie privée, de ma vie de famille. On me fait porter une grande responsabilité. Mon père était un géant, je ne suis qu'un tout petit gars."
Au début des années 1990, lorsque Rafic Hariri caressait l'idée d'entrer en politique, toute la famille s'y était opposée. "Nous avons mené une petite guerre pour l'en empêcher. Mais, une fois sa décision prise, nous l'avons tous soutenu" , dit son fils. Se sent-il lui-même menacé ? "Ceux qui ont tué mon père peuvent me tuer et tuer n'importe qui au Liban" , répond-il.
Tout porte à penser que Saad Hariri court des risques. Les mesures de sécurité qui entourent chacun de ses déplacements en sont la preuve la plus spectaculaire. Lors d'un rassemblement électoral, l'unique qu'il fit en plein air, une petite armée d'hommes de sa sécurité privée, doublée de dizaines de membres des forces de sécurité intérieure, avait été mobilisée.
Avec l'aplomb de sa jeunesse, son expérience de chef de grande entreprise, et fort de la voie royale tracée par son père, Saad Hariri assume. Très à l'aise dans le petit monde qui l'entoure, il est encore un peu raide en public. Mais les méandres compliqués de la politique nationale, les interminables entretiens et réunions, les micros qui se tendent à chacune de ces rencontres ou les préparatifs de la campagne électorale semblent n'avoir plus de secret pour lui.
Il faut dire qu'il bénéficie du réseau de collaborateurs et de conseillers de son père, "des personnes de qualité, dit-il, des professionnels de l'économie, des médias, de la politique" . Il a l'intention de les garder autour de lui, parce que, explique-t-il, il en a besoin. "Ce sont des gens honnêtes, fidèles, pour qui Rafic Hariri représentait un projet pour le Liban, un projet dont ils estiment être des partenaires et qu'ils veulent protéger." "Mon père m'a toujours dit qu'il fallait savoir parler peu et écouter. Et eux parlent beaucoup" , s'amuse-t-il.
Il y a aussi son propre entourage, dont fait partie son cousin et fidèle compagnon, Nader Hariri. Celui-ci affirme l'avoir averti qu'il ne lui pointerait plus désormais que ce qui ne va pas, les erreurs qu'il devra corriger - manière de le prémunir contre les courtisans. Saad Hariri affirme pour sa part qu'il a bien l'intention de suivre la recommandation constante de son père de "toujours garder les pieds sur terre" . "Je n'ai jamais voulu être un fils à papa, mais un homme qui travaille quinze heures par jour, qui veut que les gens respectent cela. Je sais que je ne serai jamais à la hauteur de mon père, mais je vais essayer."
La classe politique le découvre, mais l'a déjà intégré, les successions dynastiques en politique étant monnaie courante au Liban. En dépit d'une certaine empathie liée à la mort tragique de l'ancien premier ministre, les Libanais se demandent si, une fois de plus, les titres et les fonctions continueront d'être héréditaires et si leur pays changera jamais.
Saad Hariri en est conscient : "Les gens vont voter pour moi parce que mon père a été assassiné, mais une lourde tâche m'attend dans les quatre prochaines années -la durée de la législature- si je veux continuer de bâtir la légende de mon père et si je ne veux pas échouer, comme les autres familles politiques."
Il ne nommera personne. Dans un premier temps, commente l'ancien ministre Bahije Tabbarra, un proche de feu Rafic Hariri, "les choses seront très faciles pour Saad, qui bénéficiera de l'héritage de son père" . La suite sera plus difficile. "Les gens veulent voir les choses changer, ils s'enquièrent de son programme. Réadapter le programme de Rafic Hariri, c'est rendre hommage à sa mémoire" , ajoute l'ancien ministre.
Pour l'heure, Saad Hariri occupe l'un des bureaux de son père dans l'immeuble qui abritait les appartements privés et les bureaux de l'ancien premier ministre à Beyrouth. Une grande photo, la même, en différents formats, que celle que l'on voit à tous les étages, est posée sur une table.
Né en Arabie saoudite, où il a passé une grande partie de sa vie d'adulte, Saad Hariri avoue que cela lui "fait mal" de devoir quitter ce pays qu'il considère comme le sien, et "dans lequel, sans la famille royale, tout ce que l'on a, tout ce que vous voyez là" , n'aurait pas existé. "Nous -y- serons toujours loyaux" , dit-il.
Mettant ses pas dans ceux de son père, "qui avait quitté les affaires lorsqu'il est entré en politique" , Saad Hariri ne fera plus que de la politique - tout en gardant bien sûr sa part dans la société créée Rafic Hariri. Il ne refusera toutefois pas ses "conseils à -ses- frères, s'ils le -lui- demandent".

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1970 Naissance à Riyad (Arabie saoudite).
1996 Accession aux fonctions de directeur général de Saudi Oger.
1998 Mariage avec Lara Al-Azem, de nationalité saoudienne, mais d'origine syrienne.
2005 Entrée en politique en avril, succédant ainsi à son père, l'ancien premier ministre Rafic Ariri, assassiné le 14 février.

Mouna Naïm
Article paru dans l'édition du 24.05.05

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