Fin de partie dans le Caucase. Le président russe Vladimir Poutine se résout bon gré, mal gré à évacuer ses deux bases de la frontière turco-géorgienne. Cette décision est plus lourde de sens que l’on pourrait le penser. Le président russe dit la prendre sur l’avis de son chef d’état-major. Mais comment la comprendre à la veille d’un événement aussi important que l’inauguration de l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC), deux ans jour pour jour après le lancement de son chantier par l’ancien ministre des Affaires étrangères soviétique devenu président de Géorgie, Edouard Chevardnadzé ?
Il avait fallu dix ans et d’interminables tractations diplomatiques pour que l’oléoduc transcaucasien voie enfin le jour. Dès demain, le pétrole venant de Bakou passera par l’Azerbaïdjan, contournant la Tchétchénie, et la Géorgie pour rejoindre Ceyhan, sur la côte méditerranéenne de la Turquie. A l’origine de ce projet, la volonté des Turcs de réduire le passage des tankers dans les détroits du Bosphore, déjà saturés. Mais cette décision signifiait aussi la fin des espoirs séculaires russes de faire de la mer Noire le débouché naturel de la Moscovie dans les mers chaudes. Le rapprochement entre les Etats-Unis et la Russie après le 11 septembre avait permis de lever les derniers obstacles politiques. L’implication de l’USAid à la « révolution de la rose » géorgienne l’an dernier, puis à celle du Kirghizistan a semble-t-il eu raison des dernières illusions russes.
D’un point de vue géographique et financier, le choix de passer par la Géorgie n’allait pourtant pas de soi. « Dans un monde sans politique, le pipe-line aurait fait route directe de Bakou à Ceyhan, mais ni la Turquie ni l’Azerbaïdjan ne voulaient négocier avec l’Arménie », explique William Townsend, directeur commercial à BP. Le poids du conflit du Haut-Karabakh a été déterminant. Cette enclave située en Azerbaïdjan empoisonne les relations entre Arméniens et Azéris depuis 1988. Pour ces mêmes raisons, « Azéris et Turcs ont fait pression sur la Géorgie pour que le tracé évite ses territoires arméniens », analyse Nikolai Hadjyski, représentant local de la BERD.
La Géorgie était donc la seule option possible, à condition de contourner le district d’Akhalkalaki, à majorité arménienne. Minée par les séparatismes abkhaze et ossète, sans véritable armée, la Géorgie a dû faire la preuve de sa fiabilité. De ce point de vue, la construction d’un premier oléoduc, Bakou-Soupsa, était éminemment politique. Mis en service en 1999, ce pipe-line à faible débit a surtout démontré la capacité de la Géorgie à assurer la sécurité des tubes. « Sans le Bakou-Soupsa, il n’y aurait jamais eu de BTC », a rappelé, le 23 mai 2003, le président Chevarnadzé, lors de l’inauguration du chantier à Tetri-Tskaro.
Le pays, autrefois traversé par la route de la soie, retrouve sa vocation de couloir où convergent les ressources de l’Asie centrale. D’une position de maillon entre le nord et le sud, la Géorgie devient un trait d’union entre l’est et l’ouest, arrimée entre deux pays musulmans. Le programme européen Traceca vise justement à renforcer cette situation de corridor en développant des infrastructures de transit est-ouest. Déjà, le transport du pétrole par rail, venu d’un Kazakhstan aux ressources encore sous-exploitées, est arrivé à saturation.
Pour Tbilissi, cette position de pivot pour les intérêts vitaux de l’Occident dans la région permet aussi de desserrer la dépendance politique et énergétique vis-à-vis des Russes. A la Heritage Foundation, le centre de recherche néoconservateur de Washington, l’analyste Ariel Cohen ne souligne-t-il pas que « les Etats-Unis ont des intérêts de sécurité nationale en Asie centrale, y compris l’accès aux bases militaires appuyant des opérations en Afghanistan, pour empêcher la prolifération des armes de destruction massive et s’assurer l’accès aux ressources naturelles, pétrole et gaz compris » ? Les impératifs de sécurité de l’oléoduc transportant un million de barils par jour fait espérer à la nouvelle (comme à l’ancienne d’ailleurs) Géorgie un appui diplomatique occidental dans son conflit avec l’Abkhazie et l’Ossétie, amies de Moscou.
L’inauguration prévue demain de l’oléoduc a toutefois été assombrie par les violences commises la semaine dernière contre l’opposition en Azerbaïdjan, lorsque la police a brutalement dispersé une manifestation, que le pouvoir avait interdite, l’estimant inopportune à quatre jours des cérémonies d’inauguration.
24.5.05
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