24.5.05

Kaboul joue la carte de la réconciliation nationale avec les talibans

LE MONDE | 24.05.05 | 12h53  •  Mis à jour le 24.05.05 | 12h53
KABOUL de notre envoyée spéciale

igure symbolique du processus de réconciliation avec les talibans, Wakil Ahmed Mutawakil, l'ancien ministre des affaires étrangères de la milice islamiste, se présente aux élections législatives de septembre, dont la clôture des inscriptions a eu lieu lundi 23 mai. Sa candidature a été annoncée par la commission électorale le 18 mai.
Originaire de Kandahar, mollah Mutawakil se présentera dans cet ex-fief des talibans. "Les talibans sont aussi des Afghans. Les électeurs doivent choisir leurs dirigeants, qu'ils soient talibans ou non" , a-t-il affirmé. Une fois élu, il s'engage à travailler "pour la paix et le développement de l'Afghanistan" .
Commencée depuis de longs mois à Kaboul, encouragée et soutenue par les Etats-Unis, la tentative de réconciliation avec les talibans n'a pas encore atteint son objectif : ramener le calme dans les régions à majorité pachtoune - ce qui permettrait une réduction du nombre de soldats américains en Afghanistan.


LE FRONT DE L'OPPOSITION

Les appels à la réconciliation sèment d'ailleurs parfois le trouble dans les régions pachtounes, la population y discernant un double langage. D'un côté, les soldats américains continuent d'arrêter et de combattre tout homme susceptible d'avoir appartenu à la milice islamiste. De l'autre, le gouvernement appelle les talibans à le rejoindre.
Dans les régions non pachtounes, ce processus est aussi mal vécu. Le chef de l'opposition, Younis Qanouni, parle d'"une erreur" . "Pour avoir un véritable processus de réconciliation, nous devons élaborer un programme national qui englobe tous les acteurs. Le gouvernement ne peut pas déclarer qu'il va combattre les seigneurs de guerre tout en ouvrant les bras à mollah Omar [chef suprême des talibans] et à [l'ancien premier ministre] Gulbuddin Hekmatyar. Il éloigne les combattants de l'Alliance du Nord et il rachète les talibans" , ajoute-t-il.
Pour parer aux défections dans leurs rangs, les opposants au nouveau régime - talibans, fidèles de Gulbuddin Hekmatyar et militants d'Al-Qaida - se sont regroupés sous un même"Front des moudjahidins" afin de poursuivre le combat contre la présence américaine.
Deux réunions, visant à mieux organiser les opérations contre le gouvernement et ses alliés américains, se sont tenues dans la province orientale de Kunar, du 2 au 5 mai. Y participaient Jalaluddin Haqqani et son fils Serajudin (puissants dans les provinces de Khost, Paktiya, Paktika), Gulbuddin Hekmatyar et au moins trois de ses lieutenants (surtout influents dans les provinces de Nangahar, Laghman, Logar, Kunar et Nouristan). Etaient aussi présents deux envoyés des talibans (plus implantés dans le sud), un représentant d'Al-Qaida et un membre du Laskhar-i-Taiba (mouvement islamiste pakistanais qui combat normalement au Cachemire).
L'arrêt quasi total des infiltrations de militants séparatistes au Cachemire indien, ordonné par le président pakistanais, Pervez Musharraf, aurait libéré des combattants pour l'Afghanistan. Tous les groupes afghans en lutte contre la présence américaine ont leurs bases arrière et des appuis au Pakistan.
Traditionnelle à la fin de l'hiver, la multiplication des opérations prouve que les rebelles ont des ressources. Des centaines de jeunes Afghans ou Pakistanais éduqués dans l'esprit du djihad sortent chaque année des écoles coraniques du Pakistan. L'insécurité grandissante n'est toutefois pas le seul fait des talibans ou de leurs alliés. L'anarchie générale, la lenteur ou l'absence de reconstruction dans les districts sensibles, le trafic de drogue sont des facteurs d'instabilité. S'y ajoutent les tensions liées à la prochaine échéance électorale. Les récentes manifestations provoquées par l'annonce d'une profanation du Coran à Guantanamo ont aussi montré l'exaspération populaire à l'égard du gouvernement et de son parrain américain.
Trois ans et demi après la chute des talibans, ceux-ci ne sont sans doute plus la menace principale, même si leurs actions gênent la reconstruction. Plus que tout, l'inefficacité du gouvernement fait problème. Elu triomphalement en octobre à la présidence, Hamid Karzaï n'a pas réussi à installer une équipe compétente et honnête qui convaincrait les Afghans des bienfaits de la paix.

Françoise Chipaux
Article paru dans l'édition du 25.05.05

Aucun commentaire: