7.6.05

A Téhéran, tous les présidentiables défendent le droit à la technologie nucléaire

IRAN Avant l'élection présidentielle du 17 juin, les candidats invoquent la «volonté populaire»


Téhéran : Delphine Minoui
[Le Figaro, 07 juin 2005]


S'il est un sujet sur lequel les huit candidats à la présidentielle ne se contredisent pas, c'est bien celui du nucléaire. A deux semaines des élections qui mettront un terme au deuxième mandat du réformateur Mohammad Khatami, la campagne est largement dominée par des thèmes comme le chômage, l'inflation et la relance économique. Sur la question d'un «meilleur Iran», ça bataille dur, également, entre les défenseurs des valeurs de la révolution qui s'accrochent aux fondements de la République islamique, les pragmatiques qui prônent la relance du dialogue avec l'Amérique, et les réformistes qui voient dans la liberté d'expression la condition nécessaire à une évolution positive du pays. Pourtant, tous les prétendants à la présidence s'accordent, sans exception, sur l'idée qu'un «Iran fort» est un Iran qui ne renoncera pas à l'énergie nucléaire.
Le candidat conservateur Mohammad Bagher Ghalibaf, ancien chef de la police iranienne, réputé proche du guide religieux, s'explique sur son site Internet : «Le nucléaire ne doit pas être utilisé comme un outil pour détruire ses rivaux ou gagner des voix. C'est un dossier national qui n'est lié ni à une personne ni à un groupe politique en particulier... L'accès à la technologie nucléaire à des fins pacifiques est une demande qui vient du peuple.» Ghalibaf et tous les candidats font de la «fierté nationale» leur fonds de commerce pour défendre le programme nucléaire du pays. Il n'est pas rare, en effet, d'entendre les Iraniens revendiquer ce qu'ils appellent «le droit à la technologie». Selon un sondage mené en décembre par l'agence de presse iranienne Mehr, 80% des Iraniens s'opposent à une interruption des activités nucléaires.
Dans le clan des réformateurs, même son de cloche. Ancien ministre de l'Enseignement supérieur, Mostafa Moïn met l'accent sur «le droit de tous les pays à accéder à l'énergie nucléaire, dans le cadre des lois internationales». De son côté, le conservateur pragmatique Ali Akbar Hashemi Rafsandjani, favori dans les sondages, a prévenu qu'il ne renoncerait pas au nucléaire, «droit légitime du peuple», s'il était élu. Pour lui, mettre un terme au nucléaire, ce serait comme «abandonner une partie de notre territoire».
Autant de déclarations qui laissent présager d'interminables discussions avec les Européens et plus de pressions de la part de Washington, alors que les négociations avec la troïka (France, Allemagne, Grande-Bretagne) ont déjà failli tourner au vinaigre. Le 25 mai, la crise a été désamorcée à la dernière minute lorsque l'Iran a finalement accepté de ne pas reprendre immédiatement ses activités nucléaires sensibles – suspendues en novembre – comme ses dirigeants l'avaient d'abord annoncé. L'UE et l'Iran se sont donné jusqu'à l'été pour tenter de débloquer le dossier. En cas d'échec, il pourrait être envoyé au Conseil de sécurité de l'ONU. Ce scénario, que préfère éviter l'Europe, est fermement soutenu par Washington, qui reste convaincu de la mauvaise foi des Iraniens.
En mars dernier, la troïka avait néanmoins remporté une petite victoire en obtenant des Américains certaines mesures incitatives (comme la vente à l'Iran de moteurs d'avions made in USA, soumis à l'embargo) en contrepartie desquelles l'Iran donnerait des «garanties objectives» qu'il ne fabrique pas l'arme atomique. Mais les experts européens du dossier présentent des signes d'épuisement. D'autant plus que les Iraniens multiplient les déclarations provocatrices, avec, par exemple, l'annonce d'une nouvelle loi obligeant le pays à développer sa technologie nucléaire, y compris l'enrichissement d'uranium (qui peut servir à fabriquer une bombe).
«Les discussions, avec l'Europe d'un côté, et les pressions américaines de l'autre, sont devenues très complexes et difficiles», concède le candidat Ghalibaf, tout en précisant : «Comment l'Iran peut-il sortir de cette crise la tête haute, comment protéger nos intérêts nationaux et accroître notre pouvoir national ?»
C'est peut-être du côté de Rafsandjani qu'il faut aller chercher la réponse, comme le suggère Fazel Nikzad, ce lecteur du quotidien Etelaat dans une lettre ouverte. «Rafsandjani, écrit-il, est le seul à pouvoir mener des négociations bilatérales, surtout celle du nucléaire.» Dans sa campagne haute en couleur, menée à coups de slogans séducteurs, – la défense des droits de l'homme, la participation des femmes à la vie publique – cet ancien religieux conservateur transformé en libéral pragmatique, promet en effet «une diplomatie active, interactive et constructive». En coulisses, ses proches évoquent même un «deal» possible entre Iraniens, Européens et Américains.
Mais pour un candidat ultraconservateur comme Ali Larijani, ancien chef de la télévision d'Etat, il n'est pas question de négocier. Ce dernier dresse un parallèle entre le coup d'Etat fomenté en 1953 par la CIA contre le premier ministre iranien Mohammed Mossadegh qui avait nationalisé le pétrole iranien et l'actuelle pression américaine sur le nucléaire. «Les Anglais, écrit-il en première page de son site, disaient que les Iraniens n'étaient pas capables de gérer leur industrie pétrolière. Aujourd'hui, les Américains prétendent que nous ne pouvons pas développer la technologie nucléaire.» Faisant allusion aux mesures incitatives des Etats-Unis, Larijani ne ménage pas ses mots. «Nous avons troqué une perle contre un bonbon», enrage-t-il.

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