17.9.04

De l’islam et de la guerre

Voilà une bien intéressante réflexion d’un islamologue de la communauté urbaine de Strasbourg, associé au CNRS, Jean-Michel Cros. Ce chercheur est spécialiste du fait religieux, comme le montre ses multiples publications scientifiques, comme « L'exclusion religieuse », Palabre(s) n° 2, Strasbourg, Université Marc Bloch, février 2002, pp. 44-46, « Le judaïsme des apports oubliés », dans J. Picano, Les apports du judaïsme, du christianisme et de l'islam à la pensée occidentale, Marseille, Ellipses, Coll. Culture et Histoire, 1996, pp. 19-52, « L'islam », dans J. Picano, Les apports du judaïsme, du christianisme et de l'islam à la pensée occidentale, Marseille, Ellipses, Coll. Culture et Histoire, 1996, pp. 105-152. Cette fois, il rebondit sur des libres-propos de Patrick Declerck, « psychanalyste et écrivain », dans les pages « Horizons » du Monde du 12 août, titré « Je hais l’islam, entre autres… » Son explication tranche avec l’islamophobie ambiante qui marque les discours en France et dans quelques-uns de ses voisins (pensez à Oriana Falacci par exemple). Mais il offre aussi un intéressant développement sur un fait médiatique majeur, à savoir la mise en scène d’une vision occidentale de l’islam destiné à permettre une réponse défensive. De la vision qu’il décompose découle l’image des Talibans depuis le dynamitage des Bouddhas géants, le “Patriot Act”, la guerre contre le terrorisme :
“"Pourtant je persiste à haïr l’islam, parce qu’en tant que système de pensée et d’être au monde, il permet la guerre sainte. Il permet la charia". Que signifie ce charabia ? La guerre sainte ? Outre qu’elle a été théorisée par Saint Augustin bien avant l’islam (ce refoulé me paraît intéressant chez un psychanalyste), signifie ici, très vraisemblablement, le "jihad". Combien de livres faudra-t-il écrire, qui ne seront pas lus, pour expliquer ce que ce terme signifie ? Ce terme veut dire précisément "travailler avec zèle" et recouvre trois réalités différentes : une réalité personnelle en tant qu’effort moral et spirituel sur soi-même, pour vivre suivant les principes de l’islam : c’est le "jihad majeur" ; c’est ensuite une réalité sociale en tant qu’effort intellectuel (« l’ijtihâd ») ; c’est enfin une réalité universelle relative à l’extension de la foi musulmane et à sa défense, y compris par les armes et selon des conditions très précises : le « jihad mineur », qui ne saurait, par exemple, s’appliquer à l’encontre des « gens du Livre » (juifs, chrétiens, zoroastriens).
“Pour autant, la notion de « guerre sainte » n’est pas spécifique à l’islam, loin s’en faut ! Si les tous premiers chrétiens refusèrent de porter les armes et furent persécutés par l’Empereur Dioclétien (285-305), la conversion de Constantin, en 312, allait amener l’Église à modifier ses positions : il fallait défendre l’Empire contre les « barbares » - en l’occurrence les Germains.
“Le premier à avoir théoriser la notion de « guerre juste » est Saint Augustin (354-430) : « Sont dites justes les guerres qui vengent les injustices, lorsq’un peuple ou un État, à qui la guerre doit être faite, a négligé de punir les méfaits des siens ou de restituer ce qui lui a été ravi au moyen de ces injustices » - soit, notons le, au moins deux siècles avant l’apparition de l’islam.
“Isidore de Séville (560-636), ajoutera à cette première définition : « Juste est la guerre qui est faite après avertissement pour récupérer ses biens ou pour repousser des ennemis  ».
“En 1150 ces éléments seront repris dans un texte fondateur, le « Décret de Gratien », qui est l’un des fondements du droit canonique : « Une guerre est juste si elle est menée dans une intention droite, sous la direction d’une autorité légitime et dans un but défensif ou dans le but de reprendre un bien injustement pris »
“Ce sont ces fondements qui vont servir, entre autres, à donner des bases juridiques et théologiques aux ordres religieux militaires qui vont fleurir au Moyen Âge et que nous connaissons tous : Templiers, Hospitaliers, Teutoniques...
“Condamner la guerre chez autrui, c’est bien ; la condamner chez soi, c’est sans doute mieux. Mais là encore, les effets de la mémoire gommeuse sont à l’œuvre pour empêcher tout regard distancié sur les notions que l’on invoque.”

“Une fois encore...“, par Jean-Michel Cros
jeudi 16 septembre 2004, http://www.oumma.com/article.php3?id_article=1182

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