La législation européenne limitant l’exercice des pouvoirs judiciaires civils des polices à caractère militaire, les gendarmeries européennes se livrent depuis quelques décennies à un ardent lobbying, tant national que paneuropéen, afin d’éviter leurs disparitions purent et simples. La gendarmerie belge, faute de le prévenir, a été emportée par la curée médiatique qui a suivi la découverte du scandale Dutroux. Elle a emporté avec elle son homologue luxembourgeoise. Les hommes de ces corps royaux et grand-ducaux ont été purement et simplement versés dans la police. Il arrive ainsi de voir, notamment au Grand-Duché, une bâtisse XIXe au fronton gravé au nom de la gendarmerie arborer un néon flambant neuf arbborant la mention concurente. Il s’agit bien, effectivement, de concurrence entre les deux corps. L’enjeu est d’assumer seul le maintien de l’ordre public. Profitant de l’éeffet 11 septembre, après la médiatisation de la grogne des gerdarmes (et plus généralement des forces armée) dé décembre 2001, le ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkosy, avait obtenu que les gendarmes soient placés sous la tutelle du ministère de l’Intérieur pour leurs prérogatives de police judiciaire et de maintien de l’ordre, tout en restant sous celle de la Défense pour leur statut et leurs fonctions militaires.
Un an plus trad, en octobre 2003, les gendarmes reprenaient l’initiative. La ministre française de la défense, Michèle Alliot-Marie, proposait, lors de la réunion des vingt-cinq ministres européens de la défense, la création d'une gendarmerie européenne, qui interviendrait pour stabiliser une situation après un conflit, ou pour prévenir l'apparition d'une crise. Cette proposition a été accueillie positivement par ses homologues, et un groupe de travail a été créé pour étudier la faisabilité du projet. Cette initiative concernait d'abord les trois autres pays (Italie, Espagne et Pays-Bas) qui, comme la France, disposent d'une police à caractère militaire. Mais la Pologne, le Portugal et l'Allemagne, sont également intéressés. La création d'un tel corps qui, selon la France, devrait compter environ un millier d'hommes, intéresse cependant l'Union dans son ensemble, comme le montre l'exemple de la Bosnie où, depuis le début de l'année, 500 policiers européens sont présents.
Puis, au printemps 2004, le sénateur Philippe François rendait un rapport d’information, “Garde civile et Arme des carabiniers : Quels enseignements pour la Gendarmerie nationale”, où il tirait plusieurs enseignements des exemples espagnols et italiens. Il en a retenu huit principaux :
“1- Le point le plus important est que les Espagnols et les Italiens ont choisi de définir clairement, dans un texte de loi, l'organisation de leurs forces de sécurité nationales et locales. Les principes généraux les définissant, leurs missions et leurs statuts sont ainsi nettement établis.
“2- Dans les deux cas, la Garde civile et l'Arme des Carabiniers disposent d'un statut militaire spécifique établi par la loi, différent des autres forces armées. Cette différence est justifiée par la nature des missions par rapport à celles des autres forces armées. Cela se traduit par des règles spécifiques d'organisation, de discipline, d'avancement et de rémunération.
“3- La Garde civile et les Carabiniers sont placés sous la triple tutelle classique : intérieur, défense et justice. Le ministère de la défense garde toujours la direction des missions militaires et de la gendarmerie en cas de crise et d'action conjointe avec les forces armées sur le territoire national. Il garde aussi, même formellement, la responsabilité directe du statut et de la gestion des personnels, même si celle-ci est autonome et spécifique.
“4- Le rapprochement des deux forces a eu aussi comme résultat de conduire à une parité stricte des rémunérations pour chacun des niveaux de responsabilité. Le statut militaire, par ailleurs, n'emporte pas exactement les mêmes obligations en Espagne et en Italie qu'en France. Le temps de travail hebdomadaire des Carabiniers est fixé à 36 heures et celui des Gardes civils à 37,5. Les dépassements donnent lieu à récupération et, dans certaines limites, au paiement des heures supplémentaires.
“5- Dans les deux pays également, une structure administrative de coordination a été créée, même si des différences importantes existent entre la structure espagnole placée sous l'autorité d'un secrétaire d'État et l'italienne où la police a un rôle important sous la direction du ministre de l'intérieur. Cette structure a pour mission de coordonner les missions de police administrative mais aussi d'être le point d'entrée pour les relations avec les interlocuteurs étrangers ou communs aux forces de sécurité.
“6- En Espagne et en Italie, une partie du budget au moins de la force de police à statut militaire est placée sous la responsabilité du ministère de l'intérieur ou, en son sein, mis en commun entre les deux forces. Cette part du budget concerne, selon les cas, une partie des équipements et des moyens nécessaires aux missions de sécurité.
“7- Dans les deux pays, une spécialisation des forces a été partiellement réalisée, selon un critère matériel. C'est le cas en Espagne entre le Corps national de Police et la Garde civile et en Italie entre les différentes forces de sécurité de l'État. Par exemple, les transfèrements de détenus dépendent d'unités spécifiques de la Garde civile et en Italie d'une force de police spécialisée qui assure également la surveillance des prisons.
“8- Enfin, la Garde civile et l'Arme des Carabiniers n'ont pas la même appétence pour les opérations extérieures. La Garde civile ne dispose pas d'effectifs très importants et doit faire face à la menace de l'ETA et maintenant du terrorisme islamique. La gestion de la totalité de son budget par le ministère de l'intérieur semble aussi limiter les possibilités de multiplier les missions militaires à l'étranger. Les Carabiniers en revanche sont très actifs dans ce domaine, disposant des effectifs, des moyens financiers et de la volonté politique de le faire. Près de 3 500 Carabiniers sont ainsi actuellement déployés en opérations extérieures.”
Le parlementaire reprend des exemples européens les principales revendications des gendarmes : établissement de la gendarmerie comme la quatrième armée française, indépendance vis-à-vis des autres armées et de la police garantie par la loi, possibilités d’intervention à l’étranger, non plus en marge des autres armées, mais en tant que force de police. Cinq mois après le rapport sénatorial, à l'initiative de la France, les ministres de la Défense de cinq pays européens s'engagent formellement, aujourd'hui, à Noordwijk (Pays-Bas), à mettre au moins 800 gendarmes à la disposition permanente de l'Union européenne. Cette promesse engage la France, l'Italie, le Portugal, l'Espagne et les Pays-Bas, les seuls États membres disposant d'une gendarmerie. Censée pouvoir intervenir sur le terrain en quelques semaines, cette force de gendarmerie européenne complétera les outils militaires et policiers de l'Union pour réaliser ses opérations de maintien de la paix en Europe ou en Afrique. Plus robuste qu'une force de police, sans être purement civile, cette force viendra combler, dans le temps, le vide qui pourrait exister entre l'action des «battle groups», ces groupes d'intervention militaires de 1 500 hommes mobilisables dans l'urgence notamment en Afrique, et les forces de police qui interviennent après coup, une fois le terrain pacifié.
«Dans toutes les crises, on s'aperçoit que la phase purement militaire est systématiquement suivie d'une phase civilo-militaire où l'aspect de maintien de l'ordre devient de plus en plus important», expliquait Michèle Alliot-Marie en lançant son idée à Rome en septembre 2003. A l'époque, ce manque était apparu au Congo, quand l'Union européenne avait envoyé sa première mission de défense autonome de l'Otan, avant de se retirer un peu brutalement au dire des populations locales. D'après les ministres de la Défense, un tel bataillon de gendarmes serait aujourd'hui utile au Kosovo, où la situation reste précaire, exigeant des forces de l'ordre entraînées aux «sorties de crise», mais aussi une connaissance des procédures de police judiciaire afin de pouvoir participer à la lutte antiterroriste.
Pour ne pas fâcher l'Alliance atlantique, désormais associée de près à toutes les initiatives de défense européenne, les ministres des cinq pays mettront leur nouvel instrument à la disposition de l'Otan et de l'ONU. D'autres pays européens pourront également se joindre à l'initiative ultérieurement, notamment l'Allemagne, l’Autriche et la Pologne, intéressées par ce concept. A terme, sous réserve de réalisation du programme d’intégration européenne (2007), elle pourrait compter la Bulgarie et la Roumanie, voire la Turquie… Dans cette optique, la France a déjà proposé d'organiser des stages d'entraînement communs à Saint-Astier en Dordogne. Dans la bataille qui se joue en coulisse pour le contrôle de la défense européenne, la France prend l'avantage sur la Grande-Bretagne, exclue de l'initiative gendarmerie.
N.B. : La gendarmerie est une spécificité française. Comme le montre la liste suivante, nombre de ces pays ont connu ,directemen t (colonisation) ou indirectement, l’influence de la France : Algérie, Argentine, Azerbaïdjan, Bénin, Burkina-Faso, Burundi, Cambodge, Cameroun, Canada, Colombie, Chili, Comores, Congo, Côte d'Ivoire, Djibouti, Gabon, Guinée, Guinée équatoriale, Liban, Mali, Madagascar, Maroc, Mauritanie, Monaco, Niger, République centrafricaine, Sénégal, Suisse, Tchad, Togo, Tunisie, Turquie, Venezuela.
17.9.04
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