Depuis l’enlèvement de Christian Chesnot et Georges Malbrunot, on assiste à une dérive sur le front des prises d’otages en Irak. Au-delà de la dérive mafieuse qui s’était fait jour assez rapidement après le début de la guérilla irakienne, commune à nombres de prises d’otages depuis le Liban des années 1980 (la Tchétchénie de l’avant-1995 ne fait pas exception) et à la médiatisation, on assiste à une véritable scénarisation.
Bien sûr, elle était en germe dans les revendications d’Oussama bin Laden et de ses acolytes à la suite de tout attentat, même le moins porteur de résultats politiques, depuis le 11 septembre 2001. Elle était également en germe dans l’approche médiatique occidentale de ces déclarations. Pour qu’elles soient jugées crédibles, il fallait qu’elles soient transmises par la chaîne qatari Al Jazira, un peu comme la communauté internationale était prévenu d’une prise d’otages à Beyrouth par sa revendication auprès du bureau de l’Agence France-Presse. Depuis les opérations d’Afghanistan, cette chaîne s’est vue confier la charge d’assurer le contact entre les terroristes de toute espèce et l’Occident, opinion publique, décideurs politiques et services de renseignement confondus. Cette opération de diplomatie publique se poursuivait par l’authentification du message par une de ces agences, la CIA dans le cas de bin Laden, le SISMI dans celui des deux otages italiennes, lors de l’annonce de leur assassinat sur un obscur site internet. Ensuite seulement intervenait la prise de position des médias qui, une fois jouée le suspens de l’origine réelle du message, prenait un aspect de condamnation morale, non contre les terroristes, mais contre Al Jazira, qui avait diffusé, parfois en boucle, les images.
Cette mise en scène a pris un tour nouveau en Irak. D’abord, il y eut l’apparition de ces cassettes vidéo bien travaillées, cinématographiquement parlant. Là où Al Qaîda présentait des paysages montagneux de l’Hindu Kuch, avant qu’elle déménage au fond d’une grotte high-tech n’importe où dans le monde, les cagoulards irakiens présentent des images retouchées à la palette graphique, comme ce qui se fait au fond de certains garages de la bande de Gaza ou sur la télé du Hizballah libanais, Al Manar ; leurs discours est mis en lumière comme l’est celui des kamikazes palestiniens. Ensuite, vinrent les clins d’œil à l’actualité, comme au lendemain de la diffusion des images des sévices d’Abu Grahib, avec ces otages américains vêtus des mêmes combinaisons orange que les prisonniers. Enfin seulement, vinrent les cassettes présentant les exécutions à la hache ou au couteau. Comme Al Jazira ne les prend plus avec autant d’allant qu’avant, elles sont placées sur internet. Autre époque, autres mœurs. Les Libanais balançaient un corps sans vie en plein milieu d’une rue où les journalistes-reporters d’images pouvaient les filmer à loisir, quand ils ne l’avaient abattus froidement, ou l’enterraient clandestinement quand l’otage était mort tout seul, comme Michel Seurat.
Mais les terroristes d’aujourd’hui obéissent à d’autres logiques. Les voix du seigneur n’ont rien à voir avec ce business de la mort. Elles ne valent pas grand-chose dans cet univers de la télé-réalité qui imprègnent d’un même élan mondialiste les petits écrans de la planète. Après la Star Ac’ sur la chaîne libanaise LCB, c’est Jackcass à Bagdad… Ces « patriotes » irakiens jouent avec l’infâme gourmandise des Occidentaux de ces images « fortes », avec leur irrépressible fébrilité. Ils savent les pièges qu'ils tendent aux journalistes. Enlever un homme d’affaire américain, de préférence à un diplomate iranien ou à des chauffards turcs, et ne parlons pas des personnels philippins. Les derniers ont été assassinés dans la foulée de leur enlèvement, sans véritable mise en scène, sinon dans leur alignement macabre, car dépourvus d’intérêt médiatique. Que vaut l’opinion publique philippine, voire indonésienne où les terroristes y vont carrément à la camionnette piégée, comparée à celle des pays européens, des Etats-Unis ou d’Australie ?
Les assassins savent que les journalistes occidentaux sont toujours prêts à raconter, à exprimer l'horreur de leurs crimes. Une nouvelle décapitation d'otages en Irak et les radios du matin font entendre, puis les télés montrent les familles des otages dans leur digne douleur, leurs supplications aux puissants d'Occident. « On nous promet une cassette vidéo sur l'Internet dans la journée pour confirmer l'information », annonce Christophe Hondelatte à la mi-journée, hier sur France 2. Aucune chaîne française n'a jamais diffusé de telles images. D’où aussi le besoin des thuriféraires de bin Laden de communiquer sur toutes les explosions, sur toutes les prises d’otages, comme Ayman Al-Zawahiri quelques jours après l’enlèvement des journalistes français.
Cet acte est également porteur d’une autre orientation. La mobilisation qui s’en est suivie, dépassant de loin les génériques d’ouverture du journal d’Antenne 2 signalant sempiternellement que « les otages français au Liban n’ont toujours pas été libérés », après l’énoncé du nom des journalistes et diplomates retenus et du nombre de jours de détention, a été bien analysée en Irak. Les cibles suivantes ont été des femmes. Double indignation. Non seulement le tabou qui semblait exister à leur égard (les prisonnières américaines des forces irakiennes, lors des deux guerres, n’ont jamais couru de risques, ni même été molestées) venait de tomber, mais en ces islamistes, comme ils se disent, se laissent aller à cette pornographie sado-masochiste qui fait les grandes heures des publicités et de la télé-réalité occidentales. Le XIIe siècle, même en terre d’Islam, ne ressemblait pas cette post-modernité décadente…
24.9.04
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