Hier, dans son discours pour bâtir un nouveau futur, le Premier ministre britannique, Tony Blair, a une nouvelle fois présenté ses excuses pour l’utilisation des fausses informations fournies par ses services de renseignement dans l’affaire irakienne. Le président américain, George Bush, et le Premier ministre australien, John Howard, ont fait de même ces derniers mois. Comme s’il incombait aux conseillers de payer les erreurs des Princes…
Pour autant, ces accusations à l’encontre de la communauté du renseignement sont révélatrices de profondes déviances démocratiques. La première, et non des moindres, reste la difficulté qu’ont les hommes politiques à ne pas assumer le poids de leurs erreurs. Comme si les hommes d’Etat appartenaient définitivement à une autre génération, à un autre siècle. Mais, cette aventure irakienne remet surtout en cause toute la légitimité du renseignement. Le scénario qui nous est présenté est entièrement faussé par la prisme à travers lequel politiques et médias abordent cette activité. Pour les uns, il s’agit d’un moyen de confirmer leurs intuitions ou leurs certitudes. L’affaire des armes de destruction massives irakiennes et coréennes en est l’illustration parfaite ; l’administration Bush voulait en finir avec Saddam Hussein, menace médiatique, mais ne dispose pas de politique à l’égard du dernier refuge du stalinisme international. Pour les médias, le renseignement n’a jamais dépassé le stade de l’espionnage. Il n’est qu’à voir comment les commandos antiterroristes sont mis en avant, comment les taupes, avérées ou non, sont commentées, comment les absences d’informations sont condamnées. Les services de renseignement de l’après-11-septembre sont à la police du siècle dernier, ce que le char d’assaut à apporter à la cavalerie : le dernier rempart, responsable de tous les échecs et jamais reconnu lors de ses succès.
C’est l’essence même du renseignement qui est ainsi bafouée. Sa fonction intrinsèque est de pourvoir les décideurs, tant politiques que militaires et maintenant économiques, en informations améliorées — le renseignement — afin qu’ils puissent fonder leur actions. S’interroger, comme l’ont fait certains, sur le nombre de guerres gagnées par le renseignement pour conclure à son inutilité est une erreur majeure. Comme l’est de le parer de toutes les vertus divinatoires. Le renseignement est certes une science totale, dans ce sens où il fait appel aux pratiques de toutes les disciplines scientifiques. Mais il reste une science humaine, donc soumise à erreurs et tâtonnements.
Le renseignement reste soumis au pouvoir qu’il sert. Une relation de clientélisme existe même, tant il incombe aux analystes de plaire aux décideurs. Il faut qu’ils aient confiance dans l’information améliorée qu’ils reçoivent et qu’ils admettent en avoir besoin. Qu’ils l’utilisent ou non importent peu aux analystes. Mais qu’ils l’utilisent mal… Ce marché tacite entre la centrale de renseignement et le pouvoir a été brillamment démontré aux Etats-Unis dans la planification de la campagne irakienne. Comme la CIA ne pouvait être fiable, guère plus que les services du State Department, aux yeux de l’administration américaine, le Pentagone a été chargé de toute l’infrastructure de renseignement. Avec les échecs que l’on connaît, tant dans l’opération d’information auprès des opinions publiques, qui a précédé le déclenchement de l’offensive, que dans l’évaluation de la situation réelle sur le terrain, notamment pour la gestion de l’occupation militaire.
Comme le circuit officiel de renseignement n’agréait plus les Princes, ces derniers se sont tournés vers d’autres services. Le marché est ainsi fait que de multiples officines, publiques, para-publiques et privées, sont capables de produire de l’information améliorée qui correspondrait aux désirs des politiques. Mais nous sommes déjà loin de la mission de renseignement qui veut que les analystes informent de la situation telle qu’elle se présente, même si elle est sublimée par la distance et le croisement des sources, et non telle que le client le désire. La loi du marché n’est pas celle de l’offre et de la demande… A jouer les apprentis-sorciers, Tony Blair et consorts se sont joués des agents qui les servent contre vents et marées. Mais, pire, ils se sont joués du peuple qui les élit. Leurs mensonges ne sont pas ceux des services de renseignement, ils sont les leurs.
Au lendemain de la chute du mur de Berlin, des voix se sont demandées à quoi servaient les services de renseignement. Leurs budgets ont été rognés. L’informatisation a conduit à la réduction des effectifs pour les remplacer par des satellites et des senseurs. Puis est venu le 11 septembre 2001, et l’on prit conscience de l’importance du renseignement humain. Mais l’opinion était fait depuis longtemps que la crise de la CIA n’était finalement… que le reflet de la crise de la démocratie.
29.9.04
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