Le 11 septembre 2004, la barre fatidique des mille morts américains a été franchie. Les commentaires se sont trop focalisés sur les conséquences (ou leur absence) sur la cote de popularité de George Bush pour y voir une quelconque leçon militaire. Pourtant, 85 % des morts sont intervenues après le 1er mai 2003, date officielle de la fin de la guerre avec l’Irak. Les “tirs amis”, les accidents à l’entrainement et les suicides n’expliquent pas tout. Il faut bien prendre en compte la guérilla. Et accepter qu’elle n’est pas aussi volatile que les médias le laisse entendre. Les autorités américaines ont refusé depuis le commencement de ce drôle d’après-guerre de reconnaître qu’elles avaient à faire avec une opération stay-behind. La relecture de la facile progression des troupes au sol, confrontées au même problème que lors de la libération de l’Europe — à savoir des lignes de communication qui n’avançaient pas aussi rapidement que les premières lignes —, et de la chute de Bagdad prendrait alors une toute autre réalité. Et les opérations de la guérilla apparaîtraient plus structurées.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les planificateurs alliés avaient voulu tirer la leçon de la difficile mise en place et coordination des mouvements de résistance en préparant des “cellules” dormantes. Elles se réveilleraient en cas d’invasion soviétique et organiseraient l’amalgame des combattants de la Liberté. En juillet 2002, huit mois avant d’apprendre par les services de renseignements allemands que la guerre aurait lieu, il adressait aux principaux responsables du parti Baas une circulaire les avisant de se préparer à subir une attaque américaine “à tout moment”. Ce document prédisait que l’Irak serait "vaincu militairement à cause du déséquilibre des forces en présence". On rétablirait l’équilibre “en attirant l’armée américaine dans les villes, les villages et le désert, et en recourant à des tactiques de résistance”. Cette stratégie était connue des Américains, qui avaient adaptés leur stratégie en circonstance.
Saddam Hussein travaillait déjà depuis quatre ans à adapter son armée à la pratique de la guérilla. Il recruta les chefs des nouvelles unités de guérilla — des hommes âgés pour la plupart de moins de 35 ans, voire de 18. Ainsi a-t-il constitué, avant l’invasion américaine en mars 2003, des réserves de troupes, d’armes et d’argent dans tout le pays. Les armes légères — lance-grenades, explosifs, grenades à main et AK-47 — abondaient, fabriquées dans des lieux secrets répartis dans tout le pays. L’argent provenait des investissements à l’étranger d’une partie des richesses accumulées en détournant les revenus du pétrole. Il a commencé, dès 2002, à constituer un stock de liquidités, qu’il a réparti dans le pays. Après l’invasion américaine, Saddam Hussein coupa tout contact avec la plupart des hauts responsables du parti Baas. Même ses gardes du corps personnels disparurent. Après la chute de Bagdad, en avril, plusieurs cadres du parti Baas se sont réfugiés dans d’autres pays arabes. Ils devaient servir de lien entre la résistance intérieure et les masses arabes d’Egypte, de Jordanie, de Syrie, du Liban, du Yémen, du Maroc et de Mauritanie, où le parti Baas a des cellules depuis 1968.
La résistance était organisée en partant du principe qu’elle devait réunir les éléments nationalistes, baassistes et islamistes. Les grands traits du mouvement s’inspirait, comme l’idéologie officielle du régime depuis 1990, de l’histoire islamique, en particulier du triomphe du prophète Mahomet après son exil à Médine. Les chefs devaient être indépendants, mais reliés à un coordinateur, un jeune lieutenant-colonel d’aviation, travaillant pour l’unité de contre-espionnage M 14. Le 8 avril, vingt-quatre heures avant la chute de Bagdad, Saddam Hussein demanda à son cousin Ali Hassan al-Majid, connu sous le nom d’Ali le Chimique [arrêté], de quitter Bassorah pour rallier Bagdad et lui confier la direction de la résistance si lui-même venait à disparaître. L’ancien vice-président Taha Yassin Ramadan [capturé] fut nommé à la tête d’Al Ansar, et Izzat Ibrahim al-Douri, l’ancien commandant en chef adjoint des forces armées irakiennes, à celle des Moudjahidin.
Trois groupes se sont constitués. Le premier, ce sont les Moudjahidin — des Irakiens non membres du parti Baas et des volontaires islamiques qui ont combattu en Afghanistan et en Tchétchénie. Les seuls membres du parti Baas sont des Arabes non irakiens. Il est impossible de déterminer précisément leurs effectifs. Le général Taher Jalil Habboush, le chef des services de renseignements irakiens, a déclaré qu’ils étaient environ 6 000 à Bagdad, pour la plupart entraînés à la guérilla. Le deuxième, Al Ansar (les partisans), regroupe des éléments du parti Baas choisis personnellement par Saddam Hussein — qui a gardé leur engagement secret vis-à-vis de la vieille garde du parti. Ils sont présents dans tout le pays. Leurs moyens de communication sont primitifs mais sûrs. Les messages écrits, la radio ou les téléphones par satellite sont interdits. Chaque cellule dispose de messagers qui ont pour mission de relayer les messages oraux aux autres cellules. Le troisième, Al Muhajirun (les émigrants), regroupe certains membres de l’élite et quelques responsables du Baas, dont des physiciens et des stratèges militaires. Ils représentent le noyau du nouveau régime que Saddam espère diriger après avoir vaincu la coalition anglo-américaine. Toutes les unités qui constituent ces groupes de résistants sont autonomes, tant militairement que financièrement. Elles disposent de leurs moyens de transport, d’écoutes et de leurs informateurs. Elles forment un réseau informel qui porterait le nom de "Retour" (en arabe : Awdah), dont le “sanctuaire” serait la zone du centre du pays dominée par les sunnites, la minorité qui a été le principal soutien de l’ancien régime et de son appareil répressif.
Avec le développement de la violence anti-américaine et le délitement des structures gouvernementales, des trafiquants d’armes, des repris de justice et des Irakiens souhaitant venger leurs proches tués par les Américains prennent également part aux attaques contre les forces américaines. Des organisations islamistes radicales, comme les Frères musulmans venus de Jordanie, offrent de grosses sommes — “entre 1 000 et 5 000 dollars” — à de jeunes adolescents, voire à des enfants, pour mener des attaques. “C’est le meilleur moyen de gagner sa vie en Irak aujourd’hui”, expliquait un jeune Irakien à des journalistes. Evoquer des organisations islamistes fait immédiatement songer à Ben Laden et à Al Qaîda. C'est médiatiquement rassurant, mais rien ne dit qu'ils soient directement impliqués.
21.9.04
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